23.3.06

DES CARICATURES DE MAHOMET

Caricatures : Morceau d’anthologie ubuesque… Oh pardon, Onuesque
Posté le Mercredi 22 mars 2006
Voila des extraits du rapport de l’enquêteur désigné par le haut commissaire de la commission des Droits de l’Homme, qui condamne rondement le gouvernement danois et le Jilland-Posten sur trois pages, et déplore les “réactions violentes” a ces caricatures, dans un paragraphe de huit lignes (Paragraphe 29)

Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Doudou Diène.

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Extrait concernant les caricatures :

23. La manifestation la plus grave de la détérioration de la situation des populations arabes et musulmanes en général et de l’islamophobie en particulier est illustrée par la publication de caricatures du prophète Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten. Ce journal a publié… le 30 septembre 2005, 12 caricatures du prophète Mahomet. Entre autres, trois de ces caricatures montrent: la tête du Prophète surmontée d’un turban en forme de bombe à la mèche allumée, le Prophète comme un diable tenant dans sa main une grenade, et le Prophète offrant dans l™au-delà des jeunes filles vierges à des auteurs d’attentats-suicides. Cette affaire constitue une illustration de trois tendances lourdes à l’origine de la recrudescence de l’islamophobie. La publication des caricatures est, dans sa chronologie, sa motivation initiale et le public visé, révélatrice de la banalisation de la diffamation des religions. Les caricatures publiées sont en effet le résultat d’un concours lancé par le journal pour répondre à des allégations selon lesquelles les dessinateurs danois étaient trop effrayés par les fondamentalistes musulmans pour illustrer un ouvragebiographique sur Mahomet. Donc la motivation originelle du concours est l’expression d’un défi et d’une opposition à un groupe, les fondamentalistes musulmans, soupçonnés de susciter une atmosphère d’autocensure. L™identité du public visé par l’ouvrage biographique, les enfants, révèle le souci d’influencer la perception d’une religion par une classe d’âge particulièrement sensible et vulnérable. L’objet de la publication, une biographie, traduit l’intention de présenter non pas une fiction mais la vie du Prophète. Le message dominant des caricatures est ensuite l’association et l’amalgame de l’islam avec le terrorisme. La caricature relative à la gratification sexuelle de femmes vierges à des auteurs d’attentats-suicides suggère le retour d’un refoulé historique de l’imaginaire islamophobe en Occident: la vieille association de l’islam et de son prophète avec la dépravation sexuelle. La nature diffamatoire de l’islam de ces caricatures est donc caractérisée.

24. Enfin, la réaction initiale du Gouvernement danois 1 , par le refus de prendre une position officielle sur le contenu et la publication des caricatures par respect de la liberté d’expression,ainsi que la non-réception des ambassadeurs de pays musulmans, est révélatrice non seulementde la banalisation politique de l’islamophobie mais également, par ses conséquences, du rôle central des responsables politiques dans la portée nationale et l’impact international des manifestations et expressions d’islamophobie. Sur le plan juridique, le gouvernement de chaque État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est engagé, en ce qui concerne la relation entre la liberté de religion et la liberté d’opinion et d’expression, par trois articles: l’article 18, qui protège la liberté de religion, mais dont le paragraphe 3 pose comme limitations, entre autres, la protection de l’ordre public et de la sécurité ainsi que les droits et les libertés fondamentaux d’autrui; l’article 19, qui protège la liberté d’expression et d’opinion, mais dont l’alinéa a du paragraphe 3 indique, entre autres restrictions, le «respect des droits ou de la réputation d‘autrui»; et, enfin, l’article 20, qui pose le principe de l’interdiction par la loi de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Le principe fondamental qui éclaire la rédaction de ces articles est la valeur fondatrice de tout système de droit: toute liberté ou droit trouve sa limite dans le respect et le droit de l’autre. Donc, sur le plan juridique, notamment eu égard à ses engagements internationaux, le Gouvernement danois était dans l‘obligation de prendre position, dans le respect de la liberté d’expression, non seulement sur l‘impact des caricatures sur les libertés et les droits de sa communauté de 200 000 musulmans, mais également sur la protection de l‘ordre public.

25. Sur le plan politique et de l’éthique des relations internationales, le Gouvernement danois n’a pas fait montre sur cette question, dans le contexte alarmant de la recrudescence de la diffamation des religions, notamment de l’islamophobie ainsi que de l’antisémitisme et de la christianophobie, de l’engagement et de la vigilance dont il fait généralement preuve dans le combat contre l’intolérance religieuse et l’incitation à la haine religieuse et la promotion de l’harmonie religieuse. Ces valeurs sont précisément celles qui donnent sens, légitimité et opportunité au lancement récent par le Secrétaire général de l’initiative pour une «Alliance des civilisations».

26. Le Rapporteur spécial ne peut pas manquer de s’interroger sur le contexte politique et idéologique national dans lequel s’inscrit la publication des caricatures ainsi que la position du Gouvernement danois. Ce contexte est d’abord marqué par l’accord signé le 8 décembre 2005 entre le Gouvernement et le Parti du peuple danois (Danish People’s Party), parti d’extrême droite, pour durcir les conditions d’accès à la citoyenneté d’un pays considéré comme ayant une politique d’immigration parmi les plus restrictives d’Europe, un pays où 13 % des sièges du Parlement sont occupés par le Parti du peuple danois, dont un des porte-parole, Søren Krarup, décrit «l’immigration musulmane comme une façon de conquérir l’Europe comme elle l’a fait il y a 1 400 ans». Selon le journal français Le Monde du 11 décembre 2005, un imam demande la condamnation d™un député du Parti du peuple danois qui, au Parlement, a comparé des femmes musulmanes portant le foulard aux motards qui arborent une croix gammée. Le Rapporteur spécial a en effet attiré l’attention de la Commission et de l’Assemblée générale, dans tous ses rapports, sur une des causes principales de la banalisation du racisme, de la discrimination raciale et de la xénophobie: la prégnance progressive des plateformes racistes et xénophobes des partis d’extrême droite dans les programmes politiques des partis traditionnellement démocratiques.27. Le Rapporteur spécial a pris note avec intérêt, au moment de finaliser ce rapport, de l’évolution de la position tant du journal concerné que du Gouvernement. Le rédacteur en chef du journal a présenté lundi 30 janvier «ses excuses» non pour la publication des caricatures, qu’il continue de juger «sobres», mais pour avoir «offensé» les musulmans. Mais la publication consécutive des caricatures par plusieurs journaux européens, en dépit de la forte émotion suscitée par ces dessins dans le monde islamique, est de nature, au-delà de la défense légitime de la liberté d’expression, à conforter la thèse de conflit de civilisations de Samuel Huntington. En publiant les caricatures du journal danois au moment où ce journal présente ses excuses pour les offenses qu’elles ont pu provoquer, ces journaux ont privilégié une posture de confrontation et non de dialogue avec les communautés musulmanes, nationales et étrangères, qui s’estiment offensées par ces caricatures.

28. Leur défense intransigeante d’une liberté d’expression sans limites ni restrictions n’est pas conforme aux normes internationales exprimant l’équilibre nécessaire entre la liberté d’expression et la liberté de religion, notamment la non-incitation à la haine religieuse et raciale, convenues par tous les États Membres des Nations Unies dans les instruments internationaux fondateurs des droits de l’homme comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette position est indicative d’un manque de sensibilité et de compréhension alarmants aux convictions religieuses et aux émotions profondes des communautés concernées. Par cette attitude, ces publications confortent les critiques formulées, notamment depuis les événements tragiques du 11 septembre, du rôle important de certains médias dans l’amalgame de l’islam avec le terrorisme, cause centrale de la grave recrudescence de l’islamophobie dans le monde et notamment dans leur propre pays. Or, c’est précisément cet amalgame qui est au cœur des critiques formulées contre les caricatures du journal danois. Le débat consécutif à la publication des caricatures a révélé de manière plus inquiétante l’émergence, dans certains milieux intellectuels, médiatiques et politiques, dune rhétorique de conflit de cultures et de civilisations divisant le monde entre pays laïques, démocratiques et civilisés caractérisés par la défense de la liberté dexpression et pays obscurantistes, rétrogrades et arriérés identifiés par la défense de la liberté religieuse et la place de la religion dans leur société. Le débat se réduirait dans cet esprit à un conflit irréductible entre «nos valeurs» et «leurs valeurs». Cet argumentaire, qui relève du même esprit de caricature que les dessins du journal danois, en identifiant lOccident au premier groupe et les pays musulmans au second groupe, donc en opposant deux mondes, cultures et civilisations antagonistes, occulte non seulement la diversité des opinions, politiques et individuelles, sur ce débat dans les pays européens et aux États-Unis, mais surtout le multiculturalisme profond de leurs propres sociétés illustré par limportance de leurs communautés nationales musulmanes. La réaction critique envers les caricatures exprimée par des dirigeants des communautés juive et chrétienne est non seulement lexpression de leur sentiment profond que ces caricatures illustrent la recrudescence de la diffamation de toutes les religions et du climat idéologique dominant dintolérance au fait et à la pratique religieux, mais constitue la réponse la plus efficace au risque de conflit de religions que ces caricatures peuvent provoquer. Leur réaction exemplaire confirme la donnée fondamentale que lislamophobie contemporaine, comme lantisémitisme et la christianophobie, relève plus du politique et de lidéologique que du religieux. Le Rapporteur spécial note avec satisfaction la réaction des leaders de différentes religions, illustrée également par la déclaration faite par le Conseil européen des responsables religieux 2 . Celle-ci appelle tous les leaders religieux à faire tout leur possible pour rejeter et arrêter les actes de violence et de terreur qui sont menés au nom de Dieu, et condamne lutilisation de la liberté dexpression à des fins blasphématoires, qui est vue comme une violation de cette liberté quand elle est exercée sans prendre en considération les effets dommageables sur les individus et les groupes.

29. Enfin, le Rapporteur spécial déplore les réactions violentes qui ont suivi la publication des caricatures en question, et notamment les menaces et attaques contre des personnes qui n’avaient pas de lien avec ces publications et qui ont été prises pour cibles uniquement sur la base de leur nationalité, ainsi que les attaques contre des représentations diplomatiques. Le Rapporteur spécial déplore aussi les violences exercées envers des lieux de culte d’autres religions, telles que celles faites à une église catholique à Beyrouth, qui constituent un manque de respect et une attaque envers d’autres communautés religieuses et ne font qu’affaiblir le combat contre la diffamation des religions.