17.4.06

LA FACE CACHEE DE L'AVENIR

Djihad, le coeur des ténèbres

Nous vivons une époque de perturbations profondes. Inutile de redire encore le malaise de l’Europe. Partout, du nord au sud, de l’est à l’ouest, le vieillissement de la population impose ses effets.

A cela s’ajoutent des flux migratoires, où les détenteurs de capital humain partent vers d’autres cieux plus accueillants, tandis que des immigrants sans formation viennent offrir leurs bras dont on a moins besoin que de cerveaux. Les hommes politiques, en privé, tiennent des propos lucides, mais parlent en public comme s’ils ne s’apercevaient de rien, évitant les sujets qui fâchent ou qui dépriment. Un ami financier international avec qui je parlais de tout cela m’a dit que la seule question qu’il se posait était de savoir si cela allait finir comme Venise ou comme l’Argentine. Les paris sont ouverts, mais en Europe, de toutes façons, la croissance restera faible, l’innovation asthénique, la prise de décisions pusillanime et sans imagination. L’islam s’implantera jusqu’à devenir la première religion en termes de fidèles, les Juifs partiront. Tant de pays dans l’histoire sont morts, déjà, lorsque les Juifs les ont désertés. Un écrivain espagnol disait, voici quelques années, que l’Europe avait disparu avec les barbelés, les chambres à gaz et les crématoires d’Auschwitz, et il se peut fort bien qu’il avait raison.

En France, les signes abondent, qui montrent que la situation s’aggrave : quelques mois après les émeutes de novembre ont eu lieu les manifestations et les émeutes du printemps. Pour avoir tenté d’introduire une dose minime de souplesse dans le marché du travail, le gouvernement s’est retrouvé face à un blocage généralisé, et, au bout de huit semaines, il s’est couché. Plus rien ne bougera jusqu’à l’élection présidentielle, ni après d’ailleurs, qu’elle soit remportée par un socialiste ou par Sarkozy, qui vient de ranger l’idée de rupture dans le placard à balais. Chacun sait désormais qu’en France c’est la rue qui fait la loi et non le parlement. Que la France est le pays du monde développé le plus hermétique à l’économie de marché. L’immobilité ne réglant rien, il se produira vraisemblablement de nouvelles convulsions. Quel avenir pour un pays où coexistent des vieux chrétiens, des jeunes musulmans frustrés et coincés dans des ghettos lugubres et quelques poignées de jeunes gens décervelés rêvant de devenir fonctionnaires ? Qu’adviendra-t-il de ce pays si ceux qui prétendent le diriger se mettent à la remorque des jeunes décervelés ? Ce que devient la France… pas grand chose.

Il est des contrées en Europe où cela va un peu mieux que dans l’Hexagone : en Grande-Bretagne, en Irlande ou en Pologne. Il en est d’autres où la situation est aussi catastrophique : l’Espagne avait Aznar et le dynamisme économique, elle a préféré massivement Zapatero après qu’al-Qaëda lui ait intimé l’ordre de baisser la tête. Sans que Berlusconi ne soit un modèle de quoi que ce soit, on ne peut que douter du futur de l’Italie sous la conduite de la coalition hétéroclite emmenée par le technocrate socialiste Romano Prodi. En Grande-Bretagne, Tony Blair arrive en fin de parcours et ceux qui lui succéderont s’avèrent loin de partager sa vision du monde et ses idéaux.

Dans un livre qui n’est pas encore publié, ce qui n’a, hélas, rien d’étonnant dans l’environnement culturel français actuel, Laurent Murawiec décrit l’Europe comme « l’empire du soleil couchant ». C’est très exactement ce qu’elle est. Un passé riche, un présent indigent, un avenir sombre.

Quant à la situation au Proche-Orient, elle est loin de pouvoir ajouter une touche d’optimisme au tableau que je dessine ici. Les élections israéliennes se sont achevées sur un résultat très incertain : faible victoire de Kadima, maintien des travaillistes, écroulement du Likoud, émergence de partis qui n’existaient pas voici quelques années et qui occupent aujourd’hui une place mal définie sur l’échiquier politique. Ariel Sharon n’a pas trouvé de remplaçant à sa mesure, et le pays manque d’un dirigeant à la stature nette et incontestable, nécessaire, pourtant, pour traverser les périodes difficiles.

A la victoire du Hamas aux « élections palestiniennes », s’ajoute la menace croissante incarnée par l’Iran et la mise en place de plus en plus évidente d’une nébuleuse maléfique, où la folie fanatique d’Ahmadinejad se mêle à l’instinct de conservation cynique de Bachar El Assad, à la soif de sang du Hezbollah et de tous les autres djihadistes de la région. La stabilisation de l’Irak progresse, mais les tenants du terrorisme comptent sur une lassitude occidentale, déjà bien installée en Europe, où les grands médias font un inlassable travail de sape.

La Russie semble situer ses intérêts dans le sillage de la nébuleuse maléfique ; la Chine elle-même trouverait des avantages dans un Proche-Orient anti-occidental et pourrait bien envisager de faire un bout de chemin avec l’islamisme. Les ennemis de la société ouverte s’allient, et il en émerge de nouveaux, mois après mois : si l’Amérique du Sud présentait, voici une décennie, des chances de redressement, les signaux qui en émanent depuis quelques temps sont alarmants. Le néo-castrisme de Chavez fait des émules : Evo Morales en Bolivie, bientôt vraisemblablement suivi d’Andrés Manuel López Obrador au Mexique, de Nestor Kirchner en Argentine et Lula da Silva au Brésil, qui sont des populistes moins dangereux, mais toutefois pas inoffensifs.

Il reste les Etats-Unis d’Amérique et l’administration Bush, mais celle-ci risque de paraître graduellement isolée, et surtout, elle subit aujourd’hui les assauts tant d’une gauche démocratique, qui n’a retenu aucune des leçons du onze septembre, que d’une droite conservatrice, tentée par le repli et l’irresponsabilité. Il lui est déjà difficile de porter sur ses épaules le poids de ce qui reste de stabilité dans le monde, mais quand l’administration doit se défier non seulement des ennemis extérieurs et des faux alliés, mais aussi des ennemis intérieurs, la tâche devient presque impossible. S’il faut souhaiter qu’envers et contre tout, et quelles qu’aient pu être ici ou là ses erreurs, l’administration Bush tienne et résiste, c’est parce qu’à regarder l’état du monde, nous n’avons qu’elle, et qu’elle seule, à l’heure actuelle, pour nous permettre d’échapper au pire.

Si les Européens savaient vraiment quel avenir les attend, peut-être parleraient-ils et se conduiraient-ils autrement concernant l’Amérique et ceux qui la gouvernent ; mais peut-être sont-ils suicidaires aussi ? Je ne détiens pas la réponse à cette question. Une majorité d’Israéliens discernent sans doute les menaces pesant sur leurs têtes. Mais distinguent-ils pleinement ce qu’ils doivent à l’administration Bush, et comprennent-ils que sans elle, les menaces qui pèsent sur leur pays et sur le monde seraient bien plus terrifiantes ? Je ne possède pas cette réponse non plus. Néanmoins, de tous côtés, de l’Europe au Proche-Orient, de l’Asie à l’Amérique latine, où Chavez noue des liens troubles avec le régime de Téhéran, le cœur du problème porte un nom : l’islam radical.

Quiconque veut se plonger dans le cœur des ténèbres que constitue celui-ci doit se procurer un autre livre de Laurent Murawiec qui a, lui, été publié en anglais aux Etats-Unis : The Mind of Djihad (Hudson Institute, $ 11.95 : hudson.org). Dans ce livre concis, lumineux et sans concessions, Murawiec met au jour la généalogie et les méandres de ce à quoi nous avons affaire : une « théologie de la mort ». Celle-ci commence, pour les temps modernes, avec les écrits d’al Afghani, se poursuit chez Muhammad Abduh et Rachid Rida, se prolonge chez Navab-Safavi, Khomeyni et Ali Shariati du côté shiite, chez Hassan al Bana et Saïd Qutb du côté sunnite. A côté de cette théologie s’est formée une excroissance monstrueuse, le nationalisme arabe, dont l’Irak fut, dans les années 1930, l’épicentre et dont les proximités avec le nazisme et le fascisme ne sont plus à démontrer. Les résultats et les conséquences sont partout autour de nous. Je cite : « les shiites radicaux, les sunnites radicaux, les radicaux arabes ou non arabes, les soi-disant laïcs et les islamistes ont tous recombiné des aspects de l’islam et des fragments de la pensée totalitaire européenne pour produire un schéma révolutionnaire qui intègre le culte de la force, l’amour de la mort, la dévotion envers le djihad, le plaisir de tuer et l’obsession du sang ». Le dogme qui résulte s’est d’abord disséminé « dans le monde arabe, mais il lui a fallu peu de temps pour s’épandre sur le reste du monde ». Murawiec voit dans ce dogme protéiforme un phénomène gnostique (« La réalité est diabolisée, les porteurs de réalité sont satanisés »), une quête fanatique de l’apocalypse, un tribalisme manichéen (« plutôt que la religion universelle qu’il prétend être, l’islam (ainsi conçu) est une religion tribale généralisée et projetée à l’échelle planétaire »). Il souligne que nulle pitié n’est à attendre : selon le dogme, seuls les adeptes de celui-ci sont « des êtres humains à part entière ». « Pour les amants de la mort de l’islam radical, les non croyants sont ce que les Untermenschen étaient pour leurs camarades gnostiques, les nazis ; ce que les « classes exploiteuses » étaient pour la gnose soviétique, et les gens instruits, pour leur adepte gnostique Pol Pot. Les dhimmis, les païens et les hérétiques, les apostats sont des offrandes à Dieu dans le sacrifice géant imaginé, préparé et parfois enclenché par les djihadistes ».

Nous vivons une époque de perturbations profondes, disais-je en préambule. L’islam radical est en guerre contre nous. Il recrute et se trouve des compagnons de route et des idiots utiles par milliers. Nombre d’habitants des sociétés ouvertes semblent ne pas comprendre la situation, organisent sans le savoir leur propre déchéance, vaquent petitement à leurs petites affaires sans voir que la violence, la cruauté totale et la mort exterminatrice les surplombent déjà. Il reste les Etats-Unis et l’administration Bush, disais-je aussi. J’ajoutais que, quelles qu’aient pu être ici ou là ses erreurs, il fallait que l’administration Bush tienne et résiste. Pour l’avoir dit de nombreuses fois déjà, pour avoir défendu Israël et dénoncé l’islam radical, j’ai vu les portes des maisons d’éditions, des radios, des télévisions, des journaux se fermer autour de moi en France. Quand un totalitarisme éclot, certains choisissent le camp de la capitulation préventive. Je pense que ceux-ci ne seront pas épargnés quand ce totalitarisme gagnera en puissance.

Un chroniqueur américain nommé Ben Stein a écrit voici quelques mois un article remarquable où il disait : « J’en suis venu à réaliser que George Bush, quelles qu’aient pu être ses fautes, est l’héritier spirituel d’Abraham Lincoln, de Martin Luther King Jr., de Winston Churchill, du pape Jean Paul II. Nous avons une chance incroyable de l’avoir et nous devrions être emplis de gratitude… Ce qui est terrifiant est qu’il quittera le pouvoir dans moins de trois ans. Ensuite ? Le mal restera dans l’âme des hommes, et qui y aura-t-il pour combattre le mal. Nous devons y penser dès maintenant. Le vide que laissera le départ de Bush sera effroyablement difficile à combler ».

G. Millière
Posté le Dimanche 16 avril 2006