13.2.07

LE MOYEN - ORIENT SUR LA VOIE DE LA COLLISION

le conflit opposant les Saoudiens et les sunnites aux Iraniens et aux chiites – diplomatie et enjeux
Par: Y. Mansharof, H. Varulkar, D. Lav et Y. Carmon

Géographie de la crise du Moyen-Orient

Le Moyen-Orient se trouve actuellement pris dans une crise générale qui se manifeste sur trois plans : politique et militaire, économique, religieux. Depuis l'élection du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, à la ligne religieuse et idéologique est intransigeante, le conflit s'est intensifié sur tous les plans pour se transformer en une seule grande crise régionale. Les différentes sphères du conflit sont devenues interdépendantes, au point de pratiquement rendre impossible une solution locale à l'un de ses aspects; En outre, toute solution semble devoir passer par le filtre du conflit irano-saoudien. La contribution de l'Iran à l'intensification du conflit s'exprime dans les domaines suivants :

1. L'attitude intransigeante de l'Iran relativement au programme nucléaire iranien
2. L'implication politique et militaire accrue de l'Iran en Iraq
3. L'implication accrue de l'Iran au Liban, y compris par l'octroi d'une aide militaire au Hezbollah lors de la 2ème guerre du Liban, dans le but de contrôler le gouvernement libanais
4. Rapprochement avec la Syrie, au point que le deux pays ont signé un accord commun de défense un mois avant la guerre
5. Soutien accru au Hamas et au Djihad islamique palestinien
6. La défense d'une idéologie messianique qui, ajoutée aux autres éléments de la politique iranienne, a approfondi le fossé entre chiites et sunnites et entraîné un conflit diplomatique général avec l'Arabie saoudite.

Tous ces aspects ont porté un coup aux Etats-Unis et à l'Europe, ainsi qu'au camp pro-occidental dans le monde arabe (Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, les Forces du 14 mats au Liban et les forces loyales à Abou Mazen et à l'Autorité palestinienne).

Cette configuration régionale a conduit les Etats-Unis, l'Europe, l'Arabie saoudite, les Forces du 14 mars, Abou Mazen, l'Egypte et la Jordanie à faire face à la menace iranienne. Les Etats-Unis mènent en apportant leur soutien à la Résolution 1737 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui impose des sanctions à l'Iran. L'élargissement de ces sanctions fera l'objet d'un plus ample débat au Conseil de sécurité le 13 février 2007. La concentration de forces militaires dans le golfe persique, la nouvelle offensive américaine en Irak contre des forces alliées à l'Iran, un soutien indéfectible aux Forces du 14 mars et l'appui à la création d'un tribunal international susceptible d'impliquer Bashar Assad dans l'assassinat de Rafik Hariri sont autant de traits de la politique américaine allant dans ce sens.

Les efforts saoudiens pour affaiblir l'Iran s'expriment par les politiques suivantes :

1. Atteinte portée à l'économie iranienne à travers une production et une vente accrues de pétrole, ce qui réduit les revenus des exportations iraniennes, en raison de la baisse du prix du pétrole
2. Soutien aux Forces du 14 mars au Liban
3. Soutien à Abou Mazen
4. Direction du camp sunnite (représenté principalement par l'Egypte et la Jordanie) dans un effort pour contrer l'Iran au niveau religieux et idéologique.

Face soutien des Etats-Unis à ses alliés régionaux, la Russie a manifesté un soutien accru à l'Iran. Ce soutien s'exprime aussi bien au niveau militaire, par l'octroi à l'Iran d'armes de défense avancées, qu'au niveau diplomatique, par une opposition à la politique américaine dans la région. Il convient de noter que la Russie, dont l'économie repose en grande partie sur les exportations de pétrole, a aussi souffert de la baisse des prix du pétrole initiée par l'Arabie saoudite.

Tandis que la Russie est intéressée à déstabiliser la région pour affaiblir les alliés des Etats-Unis, elle s'inquiète des implications possibles d'un cataclysme à grande échelle, pressant l'Iran d'accepter un compromis sur le problème nucléaire. Le responsable de la sécurité en Russie, Igor Ivanov, dans une récente visite à Téhéran, a manifesté son soutien à la proposition de Mohamed El-Baradei, directeur de l'AIEA, pour un gel simultané de l'enrichissement d'uranium et des sanctions de l'ONU – une proposition rejetée par les Etats-Unis. Selon le quotidien Al-Hayat, le Guide suprême iranien Ali Khamenei a fait part de la volonté iranienne d'arriver à un traité sécuritaire et diplomatique global avec la Russie. (3)

Une visite du président Poutine en Arabie saoudite est prévue pour le 11 février 2007, et selon son conseiller Aslanbek Aslakhanov, il viendra avec des "propositions et des initiatives". Cette visite visera vraisemblablement à influencer les efforts continus des Saoudiens et des Iraniens pour arriver à un règlement régional global. (4)

Les pressions saoudiennes et américaines créent un fossé dans les rangs de la direction iranienne

Pendant que l'Iran d'Ahmadinejad se bat en duel avec l'Arabie saoudite, l'Iran de Khamenei danse un tango tendu avec le Royaume. Mais avant de décrire le cours des négociations diplomatiques, il est nécessaire de passer en revue l'évolution intérieure de l'Iran depuis la Résolution 1737 du Conseil de sécurité.

La Résolution 1737, qui impose des sanctions à l'Iran, a entraîné une fissure dans les rangs de la direction iranienne. Alors que toutes les parties continuent de soutenir le programme nucléaire, pour la première fois, des conservateurs iraniens ont entrepris de critiquer Ahmadinejad pour ses déclarations intempestives et sa présence ostentatoire dans les médias, qui ont facilité l'élaboration d'une Résolution de sanctions à l'ONU. (5) En outre, la baisse des prix du pétrole initiée par l'Arabie saoudite, qui a porté un gros coup à l'économie iranienne, et le fait que le Royaume saoudien prenne la direction d'un camp sunnite de plus en plus unifié, ont modifié l'approche officielle de l'Iran sous la direction du Guide suprême iranien Ali Khamenei. Le renforcement de la présence militaire américaine dans le Golfe persique a vraisemblablement aussi contribué à creuser le fossé.

Le camp conservateur s'est divisé en deux factions : une faction dirigée par Khamenei, qui cherche à freiner Ahmadinejad et à parvenir à un règlement régional afin d'éviter la possibilité d'une confrontation totale. Et une autre faction sous la direction d'Ahmadinejad, soutenue par des éléments des Gardiens de la Révolution et les partisans religieux radicaux de l'ayatollah Mohammad Taqi Mesbah-e Yazdi. Ce dernier camp raille les avertissements d'une éventuelle action américaine contre l'Iran, minimise la signification des sanctions et prône une accélération des activités nucléaires, même au prix d'un conflit militaire.

Un ancien haut responsable du ministère iranien des Affaires étrangères qui a souhaité garder l'anonymat a déclaré, dans un entretien affiché sur un site réformiste le 5 février 2007 : "…Ce que nous constatons actuellement, c'est que Khamenei a pris ses distances vis-à-vis de la ligne du gouvernement d'Ahmadinejad, qu'il penche (davantage) vers Rafsandjani et la droite modérée. Khamenei n'est pas tout à fait d'accord avec le langage radical et les menaces d'Ahmadinejad, et c'est la raison pour laquelle il considère d'un bon œil le retour du (secrétaire du Conseil de discernement des intérêts du régime) Mohsen Rezai chez les Gardiens de la Révolution, afin que Rezai et son équipe supervisent les forces des Gardiens de la Révolution, dont les dirigeants actuels soutiennent Ahmadinejad. Certains vont jusqu'à affirmer qu'à partir de maintenant, le Conseil des relations étrangères, dirigé par Kharrazi, Velayati et les forces modérées du régime, sera en charge de la politique nucléaire, afin que Rafsandjani et Khatami jouent un rôle plus important dans le rééquilibrage de la situation." (6)

Le 5 février 2007, Ahmadinejad a pris la parole au sein du Majlis iranien, affrontant les critiques de la majorité conservatrice. Les critiques se focalisaient essentiellement sur la détérioration de la situation économique – dont l'Arabie saoudite se sert, comme mentionné plus haut, pour porter atteinte à l'Iran. C'est là un argument sensible, vu qu'Ahmadinejad a été élu sur la promesse d'améliorer la situation économique des citoyens iraniens. En réponse à ses critiques, Ahmadinejad a expliqué que "les ennemis" cherchaient à baisser le prix du pétrole pour porter atteinte à l'Iran, assurant que les critiques intérieures auxquelles il faisait face étaient à prendre "dans le contexte de la lutte pour le pouvoir à Téhéran".

La division au sein de la direction iranienne a donné lieu à une double politique étrangère : la stratégie des détracteurs conservateurs d'Ahmadinejad consiste, d'une part, de le forcer à modérer ses propos – et il semble qu'ils soient efficaces en cela – et de l'autre, de le contourner par un accord régional global avec l'Arabie saoudite. Ainsi, pendant qu'Ahmadinejad insultait l' "ennemi" saoudien devant le Majlis, Khamenei menait indépendamment sa propre politique étrangère en envoyant son émissaire Ali Larijani poursuivre ses tentatives d'arriver à un règlement diplomatique avec l' "ennemi" en question. Le ministre iranien des Affaires étrangères Menouchehr Mottaki est impliqué dans ces contacts ; il a été envoyé au Maroc.

Les efforts diplomatiques se poursuivent entre l'Iran et l'Arabie saoudite : tentatives d'accord sur l'équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient

Le 6 février 2007, le journal libanais Al-Akhbar rapportait d'autres nouvelles relatives aux négociations entre Saoudiens et Iraniens. (8) Les négociations ont été menées dans plusieurs lieux, entre le président du Conseil de sécurité nationale Bandar Ben Sultan et le secrétaire du Conseil national suprême iranien Ali Larijani (et leurs assistants). Citant une "source ministérielle bien informée", le quotidien, proche du Hezbollah, a résumé l'état des négociations à ce jour. Alors que les précédents rapports sur ces pourparlers portaient sur la situation au Liban, Al-Akhbar rapporte, le 6 février, une discussion portant sur un éventail de sujets entre responsables irakiens et saoudiens, y compris l'Irak et la Syrie.

La position saoudienne repose sur trois points importants :
1. L'Arabie saoudite est favorable à la création d'un tribunal international chargé de juger les assassins d'Al-Hariri et au retour de la stabilité au Liban. En outre, l'Arabie saoudite est déterminée à prévenir des combats sectaires entre chiites et sunnites au Liban (l'Iran se serait rallié à la position saoudienne sur ce point).
2. L'Arabie saoudite ne s'oppose pas à ce que l'Iran joue un rôle majeur dans la région – notamment en Irak. (9) L'Arabie saoudite estime que l'Iran peut jouir du même statut que d'autres pays musulmans, tels que l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Turquie. Toutefois, la condition à cela est que l'Iran donne des signes tangibles de son intention de coopérer au maintien de la stabilité dans la région, notamment au Liban.
3. Pour l'Arabie saoudite, les négociations avec l'Iran sont d'une importance capitale en ce qu'elles représentent une alternative à l'échec des négociations avec la Syrie. L'Arabie saoudite n'est pas intéressée à voir la Syrie jouer un rôle déterminant dans la dynamique régionale. Le message délivré à l'Iran aurait été le suivant : si vous tenez vraiment à jouer un rôle majeur dans la région, appliquez des pressions sur la Syrie pour qu'elle cesse de se mêler des affaires du Liban.

L'Arabie saoudite a demandé des clarifications sur la position iranienne, lesquelles n'ont pas été apportées. Selon Al-Akhbar, le silence de l'Iran s'explique par le fait que la Syrie ne souhaitait pas de réponse de la part de l'Iran.

Larijani s'est entretenu avec Bandar Ben Sultan au sujet de la position syrienne. Ben Sultan a eu le sentiment que la Syrie souhaitait contrecarrer le précédent accord, ayant été mise à l'écart des négociations.

Une délégation du Hezbollah s'est rendue en Syrie suite à la dernière série d'affrontements au Liban (23 et 25 janvier) et a exprimé son inquiétude face à l'escalade des violences sectaires. Les interlocuteurs syriens ont répondu que l'opposition devait se montrer déterminée, peu importe à quel prix, jusqu'à fin mars, car alors quatre dates fatidiques seraient révolues :
1. La réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur les sanctions à imposer à l'Iran (13 février 2007)
2. Un nouveau rapport du comité des Nations unies chargé de l'enquête sur l'assassinat d'Al-Hariri, devant être publié en mars
3. Le rapport du secrétaire général des Nations unies sur la mise en œuvre de la Résolution 1701 de l'ONU.
4. Le sommet de la Ligue arabe en Arabie saoudite, qui doit se réunir le 28 mars 2007.

Al-Akhbar cite de récents rapports selon lesquels la Syrie a décidé de poursuivre sa campagne diplomatique contre la création d'un tribunal international chargé de juger les assassins d'Al-Hariri, aussi bien au Liban que sur la scène internationale. Pour la Syrie, une solution "19 : 11" au Liban (signifiant que l'actuel gouvernement aura 19 ministres tandis que l'opposition en aura 11), devrait garantir la non création du tribunal.

Le rapport d'Al-Akhbar se termine sur une note pessimiste. Il cite les sources ministérielles affirmant que les deux côtés au Liban comprennent qu'aucun véritable rapprochement n'est en vue et qu'un cataclysme est inévitable. (10)

Evénements à venir cette semaine

Bundar Ben Sultan a été, ces derniers jours, aux Etats-Unis et en France pour conduire des pourparlers secrets, sur lesquels aucun détail n'est disponible. Larijani s'est rendu à Munich entre le 9 et le 11 février pour la conférence annuelle de Munich sur la sécurité. Si des progrès sont accomplis dans les négociations relatives au problème libanais, il est prévu que le secrétaire de la Ligue arabe Amr Moussa retournera au Liban.

En parallèle, et après une accalmie, le camp d'Ahmadinejad en Iran a repris le langage des menaces. Le 11 février 2007, à la fin des 10 jours de Fajr, qui commémorent la Révolution islamique en Iran, le président Ahmadinejad doit donner un discours qui "réjouira le cœur des musulmans." Il devrait y annoncer des progrès dans le programme nucléaire. Deux jours plus tard, le 13 février, le Conseil de sécurité de l'ONU se rassemblera pour discuter de nouvelles sanctions contre l'Iran. En attendant, les négociations entre l'Iran et l'Arabie saoudite semblent être le dernier recours face à un flot de violence au Moyen-Orient.


[1] Selon un certain nombre de sites iraniens affiliés à l'opposition, l'un des cinq Iraniens capturés à Erbil le 11 janvier 2007 était le principal théoricien des Gardiens de la Révolution : Hassan Abbassi, qui dirige le Centre doctrinal de la sécurité nationale. En outre, les quatre autres Iraniens seraient des membres de la Force de Qods des Gardiens de la Révolution, responsable de l'exportation de la Révolution, de l'entraînement et de l'armement des rebelles étrangers.
Pour en savoir plus sur Abassi, voir aussi : MEMRI Special Dispatch No. 1126, "We Will Endanger U.S. Security and Economic Interests Worldwide…" 28 mars 2006, http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP112606 ; MEMRI TV Clip No. 251, "Islam Has Nothing in Common with Democracy," 23 mai 2004, http://www.memritv.org/search.asp?ACT=S9&P1=251 ; et le clip n° 252, "We Plan to Target U.S. Nuclear Warheads on U.S. Soil…" 23 mai 2004, http://www.memritv.org/search.asp?ACT=S9&P1=252.
[2] Avant les élections de 2005 en Irak, le roi Abdullah de Jordanie a mis en garde contre l'existence d'un "croissant chiite" susceptible de déstabiliser le Moyen-Orient, Al-Sabah (Bagdad), le 23 mars 2005. Le 8 avril 2008, le président égyptien Hosni Moubarak a déclaré sur Al-Arabiya que la loyauté des chiites arabes allait à l'Iran, et non à leurs propres pays : http://www.alarabiya.net/Articles/2006/04/08/22686.htm#3.
[3] Al-Hayat (Londres), le 30 janvier 2007.
[4] Al-Hayat (Londres), le 30 janvier 2007.
[5] Pour un inventaire des critiques formulées en Iran même, voir MEMRI Inquiry and Analysis No. 317, "Iranian Domestic Criticism of Iran's Nuclear Strategy," 24 janvier 2007, http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA31707.
[6] Rooz (Iran), 5 février 2007, www.roozonline.com/archives/2007/02/002073.php.
[7] Al-Hayat (Londres), le 6 février 2007.
[8] Voir l'Enquête et analyse n° 323 du MEMRI, Le Moyen-Orient vers la collision (3) : le front libano-syrien, http://memri.org/bin/french/latestnews.cgi?ID=IA32307.
[9] C'est une concession importante du côté saoudien. Dans une interview du Figaro, le ministre des Affaires étrangères Saud Al-Fayçal a exprimé l'opposition de l'Arabie saoudite à une ingérence iranienne dans les affaires arabes. Le Figaro, 24 janvier 2007.
[10] Al-Akhbar (Liban), 6 février 2007.
[11] Voir MEMRI Special Dispatch No. 1457 "The Middle East on a Collision Course (5): Iran Steps Up Threats in Light of Possible U.S. Attack," 9 février 2007, http://memri.org/bin/latestnews.cgi?ID=SD145707 .

TEXTE REPRIS DU SITE MEMRI