28.11.07

A PROPOS DE LA QUESTION JUIVE

par Bernard Lewis, Wall Street Journal, le 26 Novembre 2007
Par Lewis Bernard
Thème : Proche-Orient
Titre original : On the Jewish Question

Traduction : Objectif-info


Voici quelques idées au sujet de la conférence de paix de demain à Annapolis, et plus largement sur la façon d'aborder le conflit israélo-palestinien. Première question (l'on pourrait penser que c'est évident mais apparemment ça ne l'est pas): "Sur quoi porte le conflit ?" Il y a fondamentalement deux cas possibles : le conflit porte soit sur la taille d'Israël, soit sur son existence.

Si le problème est celui de la taille d'Israël, nous avons purement et simplement un problème de frontière, comme pour l'Alsace-Lorraine ou le Texas. C'est-à-dire qu'il n'est pas facile à régler, mais qu'il est susceptible d'être résolu à la longue, et qu'il faut vivre avec en attendant. Si à l'inverse, le problème porte sur l'existence d'Israël, alors il est clair qu'il ne peut pas trouver de solution par la voie des négociations. Il n'y a pas de compromis possible entre exister et ne pas exister, et il n'est pas imaginable qu'un gouvernement d'Israël négocie pour savoir si le pays doit exister ou pas. L'OLP et certains représentants des Palestiniens ont exprimé de temps en temps une reconnaissance formelle d'Israël dans des discours diplomatiques en langue étrangère. Mais ce n'est pas le message qu'ils délivrent chez eux, en Arabe, dans les manuels de l'école primaire, dans les déclarations politiques ou les prêches religieux. Là, les termes utilisés en Arabe évoquent, non pas la fin des hostilités, mais un armistice ou une trêve jusqu'au moment où la guerre contre Israël peut reprendre avec de meilleures chances de succès. Sans l'acceptation véritable du droit d'Israël à exister comme État juif, tout comme plus de 20 membres de la Ligue arabe existent en tant qu'États arabes, ou un nombre beaucoup plus grand de membres de l'Organisation de la Conférence islamique existent en tant qu'États islamiques, la paix ne peut pas être négociée.

Un bon exemple de la façon dont ce problème affecte la négociation est la question très débattue des réfugiés. Pendant les combat de 1947-1948, les trois quart du million d'Arabes résidant sur les lieux se sont enfuis ou ont été chassés par Israël (les deux situations se sont produites dans différents endroits) et ont trouvé refuge dans les pays arabes voisins. Au cours de la même période et par la suite, un nombre légèrement plus élevé de Juifs se sont enfuis ou ont été chassés par les pays arabes : cela s'est d'abord produit dans les territoires de la Palestine mandataire contrôlés par les Arabes (où pas un seul juif n'a été autorisé à rester), puis dans les pays arabes où les Juifs et leurs ancêtres avaient vécu durant des siècles, et même dans quelques endroits durant des millénaires. La plupart des réfugiés juifs ont pris la route d'Israël.

Ce qui se réalisait alors était de fait un échange de populations, semblable à ce qui avait eu lieu dans le sous-continent indien l'année précédente, quand l'Inde britannique a été divisée en deux pays, l'Inde et le Pakistan. Des millions de réfugiés se sont enfuis ou ont été chassés - les Hindous et d'autres populations du Pakistan vers l'Inde, et les musulmans de l'Inde vers le Pakistan. On a un autre exemple avec l'Europe de l'Est à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand les Soviétiques ont annexé une grande partie de la Pologne orientale et ont compensé cette annexion par une portion de l'Allemagne de l'Est. Dans ce cas aussi, il y a eu un mouvement massif de réfugiés, des Polonais se sont enfuis de la Pologne ou en ont été chassés par l'Union Soviétique, des Allemands se sont enfuis ou ont été chassés par la Pologne en direction de l'Allemagne.

Les Polonais et les Allemands, les Hindous et les Musulmans, les réfugiés juifs des terres arabes, tous ont été reclassés dans de nouvelles demeures et ont bénéficié du droit ordinaire à la citoyenneté. Ce qui est plus remarquable, c'est que cela s'est fait sans aide internationale. La seule exception a été le cas des Arabes palestiniens dans les pays arabes environnants.

Le gouvernement jordanien a accordé aux Arabes palestiniens une forme de citoyenneté, mais les a maintenus dans des camps de réfugiés. Dans les autres pays arabes, ils sont restés des étrangers apatrides sans droits ni perspectives, dépendants des fonds de l'ONU. Paradoxalement, si un Palestinien s'enfuyait en Grande-Bretagne ou en Amérique, il serait en droit d'obtenir la naturalisation au bout de cinq ans, et ses enfants nés dans le pays d'accueil en seraient les citoyens par la naissance. S'il était allé en Syrie, au Liban ou en Irak, lui et ses descendants seraient restés des apatrides, à présent jusqu'à la quatrième ou la cinquième génération.

La cause de cette situation a été donnée par de nombreux représentants arabes. Elle est due à la nécessité de préserver les Palestiniens comme une entité séparée jusqu'au moment où ils repartiront en exigeant la totalité de la Palestine ; c'est-à-dire, toute la Cisjordanie, la Bande de Gaza et Israël. En d'autres termes, la revendication du "retour" des réfugiés signifie la destruction d'Israël. Il est hautement improbable que cette formule soit agréée par quelque gouvernement israélien que ce soit.

Il y a des signes de changement dans certains milieux arabes, l'apparition d'une volonté d'accepter Israël et même d'envisager la possibilité d'une contribution positive de ce pays à la vie collective de la région. Mais ces opinions sont exprimées sous le manteau. Ceux qui osent les dévoiler sont parfois jetés en prison ou même pire. Ces point de vue n'ont jusqu'ici qu'un impact limité ou nul sur le leadership de ces pays.

Que peut apporter de nouveau le sommet d'Annapolis? Si le problème soulevé n'est pas celui de la taille d'Israël, mais celui de son existence, les négociations ne mèneront à rien. Et à la lumière de l'expérience passée, il est clair que c'est la question posée et que cela le restera jusqu'à ce que les dirigeants arabes réalisent leur objectif, détruire Israël, ou y renoncent. Les deux hypothèses semblent aussi improbables l'une que l'autre pour le moment.

Le dernier ouvrage de Bernard Lewis, professeur honoraire à Princeton est :" De Babel aux drogmans : une interprétation du Moyen-Orient "( Oxford University Press, 2004)
© 2007, Objectif-info.fr.