10.11.07

STRATEGIES DE L'AMERIQUE POUR LA VICTOIRE - ET LA DEFAITE

10 novembre 2007 - Par Caroline B. Glick -
Jewish World Review - Adaptation française de Sentinelle 5768 ©

La bataille d’Irak est presque terminée. Et les Américains l’ont presque gagnée. Leurs ennemis sont en fuite. Les forces d’al Qaïda ont perdu, ou sont en train de perdre leurs bases d’opérations. Leurs combattants sont tués ou capturés en nombre toujours plus élevé. Les citoyens sunnites d’Irak qui, jusque récemment, refusaient de prendre part au régime de l’après Saddam, rejoignent l’armée et les groupes de défense des citoyens par milliers.

Les cheikhs locaux à Bagdad, suivant l’exemple donné plus tôt par les cheikhs sunnites dans la province d’Anbar, ordonnent à leurs partisans de combattre avec les Américains contre al Qaïda. De leur côté, les milices shiites savent qu’elles sont avant la prochaine étape de leur défaite. En conséquence, Moqtada el Sadr a ordonné à ses forces de cesser leurs attaques.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours du mois passé, quelques 46.000 réfugiés irakiens sont revenus chez eux. Depuis mai, le nombre de victimes civiles a diminué de 75 %. Les victimes militaires américaines ont aussi plongé à pic après que le nombre de morts ait augmenté dans les mois récents de durs combats. Des quartiers de Bagdad qui avaient cessé de fonctionner sous le règne de la terreur d’al Qaïda recommencent à vivre. Des citoyens reconstruisent leur maison. Même des églises rouvrent leurs portes. Voilà à quoi ressemble la victoire.

Pourtant la promesse de Bagdad est un rayon de lumière isolé dans un champ par ailleurs obscurci de la stratégie politique des USA. Alors que le Président George W. Bush s’apprête à entamer la dernière année de sa charge, la perception internationale de l’Amérique est à un point bas. Les forces du jihad, alors qu’elles sont vaincues en Irak, se lèvent partout ailleurs. Le prix du pétrole grimpe à un prix autrefois inconcevable de 100 $ le baril. De nouvelles mosquées jihadistes s’ouvrent chaque jour à travers le monde. Le Pakistan est un désastre. L’Iran est proche de la bombe nucléaire.

Pour comprendre les nombreux échecs de l’Amérique, il est sensé de commencer par observer pourquoi l’Irak est différente. Car la nouvelle stratégie américaine gagnante en Irak n’est pas seulement différente de ce qui l’a précédée ici. Elle est aussi différente de la stratégie politique qui échoue partout ailleurs.

La nouvelle stratégie américaine en Irak est fondée sur une hypothèse stratégique plutôt simple : le but des USA en Irak est de vaincre ses ennemis, et pour vaincre ses ennemis, les USA doivent les cibler avec pour objectif de les vaincre. C’est une stratégie fondée sur le bon sens.

Malheureusement, le bon sens semble être la denrée la plus rare dans les cercles de la politique étrangère des USA aujourd’hui. En dehors de l’Irak, et jusque récemment en Irak même, les USA avaient fondé leur stratégie politique sur l’idée qu’ils peuvent faire fléchir leurs adversaires selon leur volonté, d’une par en leur envoyant des signaux menaçants, et d’un autre côté en essayant de se les concilier si possible. Et là réside le cœur de l’échec.

Dans la détermination de ce qui a conduit à l’Irak, il était clair pour les planificateurs stratégiques américains que entre les trois Etats - l’Irak, l’Iran, et la Corée du Nord - que Bush qualifia de membres de " l’Axe du Mal ", l’Irak était le moins dangereux. Elle parrainait moins le terrorisme que l’Iran. Ses programmes d’armes de destruction massive étaient moins développés que ceux de l’Iran et de la Corée du Nord. Par conséquent, il y a eu quelques voix - en particulier en Israël - qui ont suggéré que étant donné que les USA n’étaient pas intéressés à cibler plus d’un pays en plus de l’Afghanistan, ils devaient concentrer leur feu sur l’Iran plutôt que sur l’Irak. Mais pour des raisons qui leur appartiennent, parmi lesquelles l’inefficacité des sanctions de l’ONU contre le régime d’ l’Irak ; le fait que seule l’Irak était sous l’autorité du conseil de Sécurité de l’ONU ; et la faiblesse relative de l’Irak, les Américains choisirent de s’occuper de Saddam.

Ils firent l’hypothèse que l’invasion elle-même contribuerait à renforcer la capacité de dissuasion de l’Amérique, et oeuvrerait ainsi à l’avantage de l’Amérique dans ses rapports avec l’Iran et la Corée du Nord. Nous observons alors ici que la décision d’envahir l’Irak était fondée en sur une corrélation américaine continue, entre une stratégie émettant des signaux, plutôt que vers une confrontation avec l’Iran et la Corée du Nord. Si cela n’avait pas été le cas, l’Irak aurait probablement été mise de côté.

La stratégie américaine obtint d’abord un succès stupéfiant. L’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, et de fait l’Arabie saoudite dans l’ensemble, furent secouées et terrifiées par l’attaque américaine victorieuse contre Saddam. Malheureusement, plutôt que de profiter de leur élan, les Américains firent tout ce qu’ils pouvaient pour assurer à ces Etats qu’ils n’avaient aucune raison de craindre qu’un tel destin puisse leur tomber dessus.

Plutôt que de maintenir l’offensive - en fermant les frontières de l’Irak, puis en s’attaquant aux bases d’insurgés en Iran et en Syrie, les USA se replièrent sur la défensive. Ils permirent ainsi à l’Iran, à la Syrie, et à l’Arabie saoudite de soutenir et de diriger l’insurrection. En conséquence de la démonstration de faiblesse de l’Amérique, la leçon que ses ennemis tirèrent de sa campagne en Irak fut que pour dissuader les Américains, ils devaient intensifier leur soutien au terrorisme et leurs programmes d’armes de destruction massive.

Lorsque la dissuasion s’effondra, les Américains choisirent un mélange de conciliation associée à des menaces qui n’avaient pas de date d’expiration. L’an dernier, le missile balistique intercontinental et les tests nucléaires nord-coréens , la guerre du Liban, la prise de Gaza par le Hamas, et l’intensification du programme nucléaire de l’Iran sont tous des résultats de l’échec de ce modèle mis en pratique de la politique étrangère des USA.

Cette stratégie politique fait partie de la posture que prend la politique étrangère des USA en général à l’égard de ses adversaires. Et cette posture est malheureusement fondée sur une vision immensément gonflée des capacités de dissuasion de l’Amérique, et de l’échec de Washington à concevoir une politique adaptée à ses intérêts et à ses objectifs.

Aujourd’hui, l’exemple le plus flagrant de cet état de fait est le Pakistan. L’Amérique a deux objectifs primaires au Pakistan. D’abord, chercher à empêcher les armes et les technologies nucléaires du Pakistan de proliférer ou de tomber sous le contrôle de jihadistes. Ensuite, chercher à vaincre al Qaïda et les Talibans.

Après le 11 septembre 2001, les Américains ont donné le choix au dictateur militaire du Pakistan : il pouvait les aider à vaincre les Talibans et al Qaïda en Afghanistan, ou bien il pouvait perdre le pouvoir. C’était un bon début, mais alors les Américains ont commencé à perdre le sens de leurs priorités. Après que le général Pervez Musharraf se fût plié à l’ultimatum de Washington, les Américains mirent tous leurs œufs dans le même panier. Et ils perdirent leur capacité de le dissuader, et ainsi d’influer sur son comportement.

Assuré d’un soutien américain inconditionnel, Musharraf joua un double jeu. Il aida les USA en Afghanistan, et puis autorisa les Talibans et al Qaïda à s’échapper et à se réinstaller au Pakistan.

Musharraf se montra aussi réservé sur les questions nucléaires. Il empêcha des enquêteurs américains d’interroger le proliférateur nucléaire en chef du Pakistan, A. Q. Khan, et ainsi, leur refusa des renseignements majeurs sur les programmes nucléaires d’autres pays soutenus par le Pakistan. Pourtant, ayant fondé leur stratégie politique pakistanaise sur l’hypothèse que Musharraf était irremplaçable, les Américains prétendirent que rien n’allait de travers.

Et ils sont maintenant confrontés à une situation désastreuse. D’un côté, grâce à l’hospitalité de Musharraf, al Qaïda et les Talibans contrôlent de larges bandes du Pakistan, et ils ont déclaré le jihad contre leur hôte, mettant ainsi l’arsenal nucléaire du Pakistan en très grand danger. Dans le même temps, ils utilisent leurs bases pakistanaises pour intensifier leur insurrection en Afghanistan.

D’un autre côté, comme cela a été sa politique constante depuis qu’il s’est emparé du pouvoir en 1998, Musharraf continue d’ignorer la gravité de la menace des Talibans et d’al Qaïda. L’objectif de sa récente proclamation de la loi martiale et de suspension de la constitution pakistanaise n’était pas de mieux lui permettre de combattre les jihadistes. C’était de briser son opposition libérale dont les membres exigent la démocratie et la fin de son régime militaire.

Et au milieu de tout cela, les Américains se retrouvent sans moyen de pression sur Musharraf, présumé encore irremplaçable.

Une situation similaire existe en Arabie saoudite. Là aussi, les USA gâchèrent le levier qu’ils avaient gagné après les attaques du 11 septembre en conférant un soutien inconditionnel à la famille royale saoudienne. Les Saoudiens comprirent immédiatement que le meilleur moyen de s’assurer un soutien américain continu, c’était d’élargir leur soutien au terrorisme et de financer des mosquées radicales, en faveur du jihad, tout en augmentant le prix du pétrole. Comme au Pakistan, pire devenait la situation, plus les Américains les soutenaient.

Et puis bien sûr, il y a les Palestiniens. Là, la stratégie politique américaine a été un double échec. D’abord, elle a détruit la dissuasion américaine à l’égard du monde arabe.

Pour distraire l’attention américaine de leur soutien au terrorisme jihadiste, les dirigeants du monde arabe cherchèrent à convaincre les Américains que la seule manière de mettre fin à leur soutien au terrorisme et au jihad, c’était de résoudre le conflit palestinien avec Israël. Plutôt que de s’arrêter sur la question de la validité de l’étrange affirmation arabe, les Américains les crurent. Avec le temps, cette croyance les amena à négliger leurs buts réels - mettre fin au soutien du monde arabe au terrorisme ; empêcher la prolifération d’armes de destruction massive ; et maintenir des prix mondiaux du pétrole autour de 30 $ le baril - en faveur d’un problème secondaire et sans relation. A côté, il faut noter que c’est en grande partie du fait du renforcement des forces jihadistes dans le monde arabe qu’il n’y a pas de possibilité de parvenir à la paix entre Israël et les Palestiniens. Plutôt que de comprendre cela, les Américains ont permis au monde arabe de les envoyer dans une interminable chasse à l’oie sauvage.

Le fait même que, cette semaine, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice pensait qu’il était plus important de venir en Israël pour la neuvième fois dans l’année plutôt que de s’occuper de la crise au Pakistan, montre juste à quelle profondeur les Américains ont internalisé cette fiction arabe.

Enfin il y a les Palestiniens eux-mêmes. Comme Bush l’a annoncé en 2002, le principal objectif des USA concernant les Palestiniens, c’est de les obliger à cesser de s’engager dans le terrorisme et le jihad. Toutes les autres stratégies américaines concernant les Palestiniens étaient supposées conditionnées à l’accomplissement de cet objectif. Pourtant comme au Pakistan, avec le temps, les Américains ont négligé cet objectif en faveur d’un plus facile - soutenir Mahmoud Abbas et le Fatah. De façon à renforcer Abbas et le Fatah, les Américains ont mis de côté l’objectif de mettre fin au terrorisme palestinien. Par conséquent, aujourd’hui, ils n’ont pas de moyen de pression sur Abbas. Comme avec Musharraf au Pakistan, renforcer Abbas est la seule stratégie politique que les Américains pratiquent à l’égard des Palestiniens, et de plus en plus, d’Israël. Et comme au Pakistan, la réalité menaçante sur le terrain est une conséquence de la négligence politique des Américains pour leurs objectifs réels.

Deux conclusions peuvent être tirées de la victoire américaine en Irak, contrastant avec ses échecs sur tant d’autres théâtres. D’abord, la seule manière de vaincre vos ennemis avec succès, c’est de les combattre. Et ensuite, fonder une stratégie politique en prétendant dissuader des chefs non convaincus de cette dissuasion, cela conduit droit à l’échec. Jusqu’à ce que les Américains acceptent ces leçons, mise à part l’Irak, l’environnement international deviendra encore plus menaçant.

Contribuant à la JWR, Caroline B. Glick est membre senior pour le Moyen Orient du "Center for Security Policy" [Centre pour la Politique de Sécurité] à Washington, DC et rédacteur en chef adjoint du " Jerusalem Post ".