3.12.07

ENDERLIN , " LES ANNEES PERDUES"

Enderlin, "Les années perdues”: histoire du Moyen-Orient subvertie en propagande,
A. Safian
Dure mise en cause de la crédibilité de Charles Enderlin, cette fois non en raison de son traitement du cas de al-Dura, mais à l'occasion de la sortie de son nouveau livre, qu'éreinte le critique Alex Safian.
(Menahem Macina).


02/12/07



Texte original anglais : "Message in a battle : Perverting history of the Middle-East into propaganda".



Traduction française : Menahem Macina



The Lost Years: Radical Islam, Intifada, and Wars in the Middle East 2001-2006, by Charles Enderlin (Other Press). [Les années perdues : Islam radical, Intifada et Guerres au Moyen-Orient – 2001-2006.]




Si vous demandez à cent personnes, à Times Square ou Harvard Square, qui est Charles Enderlin, la majorité d’entre elles, si ce n’est la totalité, ne sauront pas quoi répondre. Mais si vous les interrogez sur la plus fameuse réalisation d’Enderlin, l’identification sera immédiate.

Enderlin est le journaliste français qui a donné au monde le récit de Mohammed al Dura, l’enfant de Gaza, dont la mort supposée a été saisie par une caméra, au début de la dernière Intifada, ou insurrection, en septembre 2000. Enderlin, qui, depuis 1990, est le correspondant, dans la région, de la chaîne publique de Télévision France 2, n’était en fait pas présent quand al-Dura fut abattu, mais son caméraman l’était. Enderlin a monté et commenté la vidéo, qui montrait Mohammed et son père s’abritant derrière un baril de béton, tandis que des Palestiniens armés et des soldats israéliens échangeaient des tirs. Selon Enderlin, c’est un tir israélien qui a tué l’enfant et touché aussi le père :

« …ici Jamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs qui proviennent de la position israélienne… Une nouvelle salve de balles, Mohammed est mort et son père gravement blessé. »

Quoique la vidéo ne montre pas que l’enfant est touché, et ne prouve assurément pas qui lui a tiré dessus, si tant est que quelqu’un l’ait fait, le jeune Mohammed est devenu une icône du martyre des Palestiniens et de la prétendue brutalité israélienne. Même la lointaine Tunisie a émis un timbre représentant la mort tragique de l’enfant.

Mais bientôt, des questions ont surgi à propos de l’angle impossible entre la position israélienne et celle des victimes, et en raison des incohérences du récit d’Enderlin et de celui de son caméraman. Les doutes se sont accrus quand des observateurs extérieurs ont été autorisés à voir les prises de vues non montées [rushes], qui semblaient montrer des forgeries, comme c’était le cas de Palestiniens tombant sur le sol comme s’ils étaient mortellement touchés, pour se relever et quitter les lieux quelques moments plus tard. Par la suite, même un observateur aussi modéré que James Fallows, de l’Atlantic Monthly, concluait :

« Il apparaît aujourd’hui que la mort de l’enfant ne peut avoir eu lieu de la manière dont l’ont relatée la plupart des médias, et comme on le croit avec ferveur dans tout le monde islamique. Quel qu’ait été son sort, il n’a pas été abattu par les soldats israéliens connus pour avoir pris part aux échanges de tirs de ce jour-là. »

A mesure que grandissait la controverse, quelques critiques ont émis l’accusation de fraude consciente, et France 2 ainsi qu’Enderlin ont répliqué par une action judiciaire, qui n’a pas encore abouti, accusant leurs critiques français de diffamation.

Travailleur infatigable, Enderlin n’a pas laissé la controverse le détourner de son activité, ni l’empêcher de rédiger deux livres. Le dernier, Les années perdues, affirme qu’en raison de leur militarisme obstiné, de leur unilatéralisme et de leur duplicité, les dirigeants d’Israël et des Etats-Unis ont gâché les chances de paix avec les Palestiniens et « mené le Moyen-Orient au bord d’une victoire majeure de l’islam radical. »

Le livre d’Enderlin est rempli de révélations.

* Vous pensiez, comme le Président Clinton l’a affirmé, qu’Israël avait accepté, et les Palestiniens rejeté, les "paramètres de Clinton" - le plan final de paix offert par le président, tout à la fin de son mandat ? Ce n’est pas le cas.
* Vous pensiez qu’Arafat avait planifié et contrôlé l’Intifada, qui avait débuté quelques mois auparavant ? Erreur à nouveau.
* Les mythes volent en morceaux, les uns après les autres.

Mais, en vérifiant les copieuses notes de bas de page, censées confirmer ses assertions, des signaux troublants s’allument : beaucoup de citations se réfèrent à des interviews qui ont été apparemment – oui – filmées en vidéo par un caméraman, puis montées et commentées ensuite par Enderlin. Exactement comme la très douteuse vidéo de al-Dura. Et quelques autres notes de pas de page semblent également sujettes à caution.

Par exemple, Enderlin a-t-il raison quand il prétend qu’au cours d’un appel téléphonique de décembre 2000 au Président Clinton, Ehud Barak avait gravement endommagé les chances de paix en rejetant "secrètement" les paramètres de Clinton ?

Cette affirmation soulève quelques problèmes, dont un gros qui est que, comme cela a été largement relaté, à l’époque, le cabinet israélien, dont Barak, avait voté l’acceptation des paramètres de Clinton, si les Palestiniens les acceptaient aussi.

Pour étayer son accusation, Enderlin cite Elusive Peace [Une paix insaisissable], un livre accompagnant un documentaire du même nom réalisé par la BBC. Mais le documentaire ne dit pas ce qu’affirme Enderlin. Par exemple, le narrateur admet que

« le cabinet israélien a aussitôt accepté les paramètres de Clinton, dans la mesure où les Palestiniens en faisaient autant ».

On voit Barak racontant que, dans un entretien téléphonique, il avait dit à Clinton :

« Je ne veux même pas discuter de ces paramètres, ni du fait qu’ils me conviennent ou non. En l’état, nous ne pouvons pas les accepter ».

Mais ensuite, Clinton est interviewé et dit :

« Du fait qu’Arafat ne les avait pas acceptés [les paramètres de Clinton], Barak était l’objet d’une énorme pression politique, aussi avait-il besoin de quelque marge de manœuvre, pour donner l’apparence qu’il y renonçait, lui aussi, et je comprenais cela. »

En d’autres termes, il n’y a absolument rien dans ces entretiens de la BBC avec Barak et Clinton, qui corrobore la version légendaire de l’histoire d’Enderlin.

Et qu’en est-il de son affirmation, selon laquelle « l’insurrection palestinienne a été spontanée et… qu’Arafat ne la contrôlait pas » ? Elle est contredite par de nombreuses déclarations des dirigeants palestiniens eux-mêmes, tel Ali Abu Mustafa, qui affirmait, deux mois avant que l’Intifada ne débute :

« Nous allons sans doute nous trouver en confrontation avec Israël, afin de créer des faits nouveaux sur le terrain… Je crois que la situation dans l’avenir sera beaucoup plus violente que la [première] Intifada. »

Et Imad Faluji, le ministre des Communications d’Arafat, déclarait :

« Cette Intifada a été préparée à l’avance. »

De même, en 2002, le général de brigade, Mazen Izz Adin, Directeur de l’endoctrinement politique des Forces de Sécurité Nationales palestiniennes, déclara, lors d’une manifestation à Gaza :

« Nous devons être véridiques et sincères et appeler les choses par leur nom. Un jour l’histoire rendra clair le fait que toute l’Intifada et ses instructions venaient du Frère Commandant, Yasser Arafat. »

Désespérant de disculper Arafat, Enderlin fait l’impasse sur tout cela, ainsi que sur les récits de ses confrères de la presse, qui étaient des témoins oculaires. Par exemple, Charles Sennott, du Boston Globe, qui est tout sauf un apologiste d’Israël, a relaté que le dirigeant palestinien, Faysal Husseini, contrôlait directement les attaques palestiniennes sur le Mont du Temple de Jérusalem et aux alentours. Selon Sennott, Husseini

« a reconnu que la manifestation d’hier était orchestrée. »

Sennott a également relaté que

« les jeteurs de pierres… étaient fournis en projectiles à l’aide de brouettes pleines de pierres qui venaient de l’intérieur de l’enceinte de Al-Aqsa. Et les jeteurs de pierres s’arrêtaient comme un seul homme, à presque exactement 17 heures. »

Malheureusement, ces exemples des tentatives d’Enderlin pour abuser ses lecteurs sont classiques – des déformations et même des mensonges similaires foisonnent dans son livre.

On s’en consolerait si Enderlin était un cas isolé, mais il n’en est rien. Parmi les journalistes qui, mécaniquement, accusent Israël et exonèrent les Palestiniens, quels que soient les faits, on compte le journaliste britannique, Robert Fisk, Orla Guerin, de la BBC, Christiane Amanpour, de CNN, et beaucoup trop d’autres. Et la représentation consistante qu’ils se font des Israéliens comme étant les mauvais, et des Palestiniens comme étant des combattants la paix, court en filigrane dans leur couverture des événements, comme ceux de la Conférence d’Annapolis.

Le journalisme a parfois été appelé « le premier jet de l’histoire », mais, dans les mains de Charles Enderlin, il devient le premier jet d’une propagande malveillante.

Le seul intérêt de son livre, "Les années perdues", est de servir à l’étude de la pathologie dont il est le produit.



Alex Safian *


© The New York Post


* A. Safian est directeur associé du groupe de veille médiatique CAMERA.

Mis en ligne le 3 décembre 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org