28.2.08

L'ANTISEMITISME ET LE JOURNALISME

Soumis par une lectrice fine psychologue:

Petit exercice d’analyse d’une brève de l’Agence Fausse Presse:

Enquête sur une agression antisémite

Une enquête a été ouverte à Grenoble à propos d’une agression antisémite dont affirme avoir été victime un étudiant en pharmacie, âgé de 22 ans, à la faculté de La Tronche près de Grenoble. Les faits se seraient déroulés hier dans la bibliothèque universitaire de médecine de La Tronche-Grenoble.

L’étudiant en 1ère année affirme avoir fait l’objet d’«insultes antisémites» de la part d’un autre étudiant, qui lui a ensuite porté «des coups». La victime, qui souffre de «contusions au visage et d’un choc psychologique», a déposé plainte au commissariat de police d’Aix-les-Bains (Savoie) d’où il est originaire, selon la même source. La police de Grenoble est chargée de l’enquête.

Source: AFP

D’abord le titre. Pour faire sensation, ce que cherche généralement l’AFP, on se serait attendu à «Agression antisémite» mais ici le mot «enquête» permet d’entrée de mettre en doute l’agression. Doute sous-entendu dans la première proposition du texte, «une enquête a été ouverte à Grenoble à propos d’une agression antisémite», c’est-à-dire pour savoir si l’agression est vraie, pas pour retrouver l’auteur de l’agression… qui n’est qu’autre que la victime qui la rapporte!

Le doute est ensuite à nouveau fortement sous-entendu par la formulation «dont affirme avoir été victime», rien ne permet donc de le croire. D’autant qu’il s’agit d’un «étudiant» de «22 ans» donc forcément pas très sérieux. Ensuite tous les détails sont donnés sur la personne de la victime, «un étudiant en pharmacie, âgé de 22 ans», qui est ainsi fichée comme le serait un criminel. Enfin il n’est jamais fait mention de sa judéité (ou pas), la mention «étudiant juif» risquant de donner de la substance à l’agression rapportée.

La suite, «à la faculté de La Tronche près de Grenoble», apporte des données factuelles inutilement détaillées permettant d’atténuer l’émotion éventuellement suscitée malgré le doute insinué. «Les faits se seraient déroulés hier dans la bibliothèque universitaire de médecine de La Tronche-Grenoble»: l’emploi persistant du conditionnel qui maintient le doute serait normal s’il n’était pas aussi rare dans les faits divers, dont on accentue généralement le côté sensationnel.

On parle de «faits», pas d’agression, un terme trop agressif, demandant un agent alors qu’ici on n’a que la victime, dont on doute. On vous dit que les faits ont eu lieu avec force détails à nouveau alors que vous ne savez toujours pas en quoi ils consistent, on délaye encore la portée émotionnelle par des données factuelles inutilement détaillées, qui en plus se répètent alors qu’il s’agit d’une brève censée viser la concision.

«L’étudiant en 1ère année affirme avoir fait l’objet d’‹insultes antisémites› de la part d’un autre étudiant, qui lui a ensuite porté ‹des coups›.» On précise que l’étudiant est en 1ère année: il n’est pas expérimenté, on ne peut pas le prendre au sérieux. Il ne dit pas, il «affirme»; on évoque ainsi l’exagération de sa déclaration. Ensuite il n’a pas été insulté, il n’a pas non plus été frappé car ces verbes directs auraient été trop agressifs et auraient suggéré un agresseur. Les guillemets pour «insultes antisémites» et «des coups» maintiennent le doute autour des termes rapportant le contenu de l’agression.

Formulation «de la part d’un autre étudiant»: l’autre étudiant n’est pas un agent agressif «par qui» cette agression aurait été commise, non: c’est un participant, comme l’indique la formule «de la part», d’une bonne blague entre étudiants; ce n’est pas grave c’est un jeu entre gamins. D’ailleurs, à la faculté de médecine, ils sont connus pour les canulars entre potaches, n’est-ce pas?

«La victime, qui souffre de ‹contusions au visage et d’un choc psychologique›, a déposé plainte au commissariat de police d’Aix-les-Bains (Savoie) d’où il est originaire, selon la même source.» Même les blessures sont mises en doute par les guillemets et par le fait de rapporter les blessures physiques et psychologiques en dernier dans le même paquet, alors qu’on peut toujours mettre en doute le psychologique, qui n’est pas visible.

Bien qu’aucune source n’ait été mentionnée précédemment, la formule «selon la même source», en sous-entendant un intermédiaire, insinue un doute sur les faits rapportés. Le détail inutile des données factuelles rapportées vise à nouveau à atténuer la portée émotionnelle des blessures évoquées, là où on aurait pu se contenter de «une plainte a été déposée»; mais sans doute l’impact aurait fait trop réaliste.

Pour contraster le ressenti à la lecture de la brève analysée, je donne une version de ce qu’elle aurait pu être sans tous les artifices mis en évidence pour biaiser l’information:

Agression antisémite à l’Université de Grenoble

Un étudiant en pharmacie de 22 ans a été agressé hier à la bibliothèque de la faculté de médecine par un autre étudiant qui l’a insulté et frappé. La victime, qui souffre d’un choc psychologique et de contusions au visage, a déposé plainte et la police de Grenoble est chargée de l’enquête.