19.4.08

UN ISLAM DEMOCRATIQUE ?

par Daniel Pipes
Jerusalem Post


Version originale anglaise: A Democratic Islam?
Adaptation française: Alain Jean-Mairet

On a l'impression que les Musulmans souffrent tout particulièrement du règne de dictateurs, de tyrans, de présidents, rois, émirs et autres hommes forts non élus – et cela reflète bien la réalité. Une analyse attentive de Frederic L. Pryor, du Swarthmore College, parue dans le Middle East Quarterly («Are Muslim Countries Less Democratic?» – Les pays musulmans sont-ils moins démocratiques?) conclut ainsi que «dans tous les pays à l'exception des plus démunis, l'Islam est associé à des droits politiques plus limités».

Le fait que les pays à majorité musulmane soient moins démocratiques incite à conclure que leur élément commun évident, la religion islamique, est en elle-même incompatible avec la démocratie.

Je m'inscris en faux contre cette conclusion. La situation difficile de l'Islam actuel reflète davantage les circonstances historiques que des caractéristiques inhérentes à l'Islam. En d'autres termes, l'Islam, comme toutes les autres religions pré-modernes, est non démocratique par l'esprit. Mais il n'a pas moins de chances que les autres d'évoluer dans une direction démocratique.


Cette évolution n'est facile pour aucune religion. Dans le cas du Christianisme, la bataille qui a permis de limiter le rôle politique de l'Église catholique a duré très longtemps. Si l'on estime que la transition a commencé avec le Defensor pacis de Marsile de Padoue, en 1324, on voit que l'Église a eu besoin de six siècles pour se réconcilier pleinement avec la démocratie. Pourquoi la transition de l'Islam devrait-elle être plus aisée ou plus rapide?

L'adaptation de l'Islam aux usages démocratiques va exiger de profondes modifications de son interprétation. Par exemple, la loi anti-démocratique de l'Islam, la charia, est au cœur du problème. Élaborée il y a un millénaire, elle présuppose la présence de dirigeants autocrates et de sujets soumis, priorise la volonté de Dieu sur la souveraineté du peuple et encourage le djihad violent en vue d'étendre le territoire de l'Islam. En outre, elle privilégie, anti-démocratiquement, les Musulmans par rapport aux non-Musulmans, les hommes par rapport aux femmes et les personnes libres par rapport aux esclaves.


Pour établir des démocraties qui fonctionnent réellement, les Musulmans doivent rejeter à la base les aspects publics de la charia. C'est ce qu'Atatürk a fait, de manière frontale, en Turquie, mais d'autres ont proposé des approches plus subtiles. Ainsi, Mahmoud Muhammad Taha, un penseur soudanais, écarta les lois islamiques publiques en réinterprétant fondamentalement le Coran.

Les efforts d'Atatürk et les idées de Taha indiquent que l'Islam est en évolution permanente et qu'il est tout à fait erroné de le considérer comme immuable. Ou, pour reprendre la métaphore de Hassan Hanafi, professeur de philosophie à l'université du Caire, le Coran «est un supermarché où chacun prend ce qu'il veut et laisse ce qu'il ne veut pas».

Le problème de l'Islam réside moins dans sa nature antimoderne que dans le fait que son processus de modernisation n'a pratiquement pas encore débuté. Les Musulmans peuvent moderniser leur religion, mais cela nécessite des modifications majeures: plus de djihad pour imposer le règne de l'Islam, plus de citoyenneté de deuxième classe pour les non-Musulmans, plus de peine de mort pour le blasphème ou l'apostasie. Et à la place: libertés individuelles, droits civils, participation politique, souveraineté populaire, égalité devant la loi et élections représentatives.

Mais deux obstacles se dressent devant ces changements. Les liens tribaux, notamment au Moyen-Orient, restent d'une importance capitale. Comme l'explique Philip Carl Salzman dans son récent ouvrage, Culture and Conflict in the Middle East (Culture et conflit au Moyen-Orient), ces attaches créent un ensemble complexe fait d'autonomie tribale et de centralisme tyrannique qui empêche le développement du constitutionalisme, de l'État de droit, de la citoyenneté, de l'égalité des sexes et des autres conditions préalables à l'instauration d'un état démocratique. La démocratie ne pourra pas faire de progrès sensible au Moyen-Orient avant que ce système social archaïque basé sur la famille ne soit dépassé.

Au niveau mondial, le puissant et envoûtant mouvement islamiste fait obstacle à la démocratie. Il vise l'opposé des réformes et de la modernisation, il veut remettre en vigueur la charia dans son intégralité. Un djihadiste comme Oussama ben Laden peut afficher ses objectifs plus franchement qu'un politicien établi comme le premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan, mais tous deux aspirent à instaurer un ordre parfaitement antidémocratique, voire totalitaire.

Les islamistes réagissent de deux manières à la démocratie. Premièrement, ils la dénoncent comme étant non-islamique. Le fondateur des Frères musulmans, Hasan al-Banna, considérait la démocratie comme une trahison des valeurs islamiques. Sayyid Qutb, le théoricien des Frères, rejetait la souveraineté populaire, tout comme Abu al-A‘la al-Mawdudi, le fondateur du parti politique pakistanais Jamaat-e-Islami. Yusuf al-Qaradawi, l'imam télévisuel d'Al-Jazeera, affirme que les élections sont des hérésies.

En dépit de ce mépris, les islamistes sont impatients d'utiliser les élections pour s'installer au pouvoir et se sont montrés redoutables à la chasse aux votes; même une organisation terroriste (Hamas) a pu remporter une élection. Cela ne rend certes pas les islamistes démocrates – cela révèle juste leur flexibilité tactique et leur détermination à s'emparer du pouvoir. Comme Erdoğan l'a dit de manière très révélatrice, «la démocratie est comme un tramway – quand vous arrivez à votre station, vous en descendez».

L'Islam peut un jour devenir démocratique, s'il s'y efforce. Mais d'ici là, l'islamisme constitue la principale force anti-démocratique du monde.


©1980-2008 Daniel Pipes.