21.4.08

UN PEU PLUS A L'EST QU'ISRAEL


Il se pourrait bien que la situation en Irak connaisse des développements majeurs dans les semaines qui viennent. Les combats à l’arme lourde qui opposent les troupes de la coalition, armée irakienne régulière comprise, aux milices de Moqtada Al Sadr entrent dans une nouvelle phase.


Dans ce qu'il qualifie d'avertissement final au gouvernement irakien, le jeune imam, pour qui le pouvoir spirituel n’est rien sans le temporel, menace de "déclarer une guerre ouverte jusqu'à la libération" de l’Irak. Le nombre de ses partisans s’évalue à 60.000 hommes.

L'ambitieux clerc espérait un fauteuil dans le gouvernement irakien mais ne l’a pas obtenu. Il a donc décidé de rompre la trêve et multiplie les appels à la guerre sainte contre l’occupant par mosquées interposées.

Manquant de soutien à l’étranger, il veut par ce biais se constituer une image internationale. Et comment atteindre ce but si ce n’est en provoquant une guerre ? Il surfe également sur le mécontentement et la misère dans les quartiers pauvres de Bassorah et de Bagdad.

Les appels à la guerre sainte ont toujours été, pour les dirigeants musulmans, un bon moyen de focaliser sur eux l’attention de la planète et d’exacerber les sentiments belliqueux de leurs populations.

Moqtada Al Sadr est chiite. Il a fondé l’armée du Mahdi, du nom du douzième imam, celui qu’attendent les chiites du monde entier. Selon l’apocalyptique musulmane, le Mahdi apparaîtra durant les derniers jours de l'existence du monde. Sa venue précèderait la seconde venue de Jésus sur terre.

Ahmadinejad, l’atomisé président iranien, ne manque pas de faire allusion dans ces discours à cet événement qui marquera, selon lui, la domination musulmane sur la terre. Il a même décidé d’accélérer un peu les choses pour assister à ce retour.

Cette collusion entre le jeune imam fanatique et le régime iranien semblait être de surface. Même si certains éléments laissent penser que l’imam s’est replié au pays des ayatollahs durant quelques mois et qu’il en tire maintenant aide et soutien, le chiisme irakien est avant tout nationaliste. Moqtada Al Sadr prend l’Iran pour allié, le temps de conquérir le pouvoir en Irak.

C’est compter sans le courant majoritaire de l’Islam, le sunnisme. Le principal bloc politique sunnite d'Irak est sur le point de revenir au gouvernement irakien et a même soumis une liste de candidats à des postes ministériels.

"Les principaux obstacles ont été levés. Le Front de la concorde a soumis au Premier ministre les noms de ses candidats à des ministères. Deux noms pour chaque ministère", a déclaré le président irakien à la télévision après avoir rencontré la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice.

Le retour des sunnites, eux aussi opposés à la présence américaine, dans le gouvernement irakien peut être interprété de deux manières fondamentalement différentes.

Soit le sunnisme politique, bien informé des progrès de la reconstruction, a décidé d'y prendre sa part. Dans ce cas, il faudra attendre le départ des Américains pour apprécier la réelle volonté de travailler au bien commun.

Mais il est également permis de penser que c’est un fort mauvais signe pour la coalition. Car les sunnites comportent dans leurs rangs rien de moins que les mouvements de la nébuleuse Al Qaïda.

La situation actuelle ne laisse pas entrevoir de solution à moyen terme. La prospérité en Irak ne touche que des privilégiés. La course contre la montre que mènent les USA actuellement est fortement compromise. Et ce ne sont pas les déclarations optimistes des candidats, les vœux pieux et les grands principes des envoyés successifs qui vont faire basculer la tendance.

Si les forces d'Al-Sadr se soulevaient de nouveau, la violence entre Irakiens pourrait reprendre de plus belle. Moqtada Al Sadr est l’ennemi juré des sunnites et d’Al Qaida.

On le soupçonne du côté sunnite d’avoir commandité des attentats contre les mosquées sunnites par l’intermédiaire de véritables escadrons de la mort, ses milices dévoués corps et âme à leur chef, et pour lequel ils n’hésitent pas à mourir.

Personnage redouté et homme d’affaires

Car il faut ajouter à tout cela que, personne n’étant parfait, les prises de contrôles et zones d’influences recherchées par les partisans de Al Sadr ont des raisons un peu moins avouables mais tout de même essentielles : le contrôle de l’argent des pèlerinages dans les villes saintes de Nadjaf et Kerbala, dont les produits financiers se chiffrent en dizaines de millions de dollars chaque année.

Comme quoi le spirituel et le temporel peuvent faire bon ménage !

Moqtada Al-Sadr, malgré son jeune âge, n’a pas officiellement les titres dont il se réclame. Il n’a même pas le grade de hodjatoleslam (1) et encore moins celui d’ayatollah qui lui permettrait d’interpréter les textes sacrés et pourrait lui conférer une autorité spirituelle.

Mais il est le fils d’un ayatollah respecté au sein de la communauté chiite, Mohamed Sadeq al-Sadr, assassiné en 1999 par Saddam Hussein. Il utilise surtout le prestige de son grand-oncle, le grand ayatollah Mohamed Baqer al-Sadr, l’équivalent pour l’Irak de ce que fut Khomeiny pour l’Iran.

Dès la chute du régime de Saddam Hussein, le jeune fils à papa a installé son pouvoir dans l’immense banlieue chiite de Bagdad renommé Sadr-City. Ces partisans ont pris le contrôle des hôpitaux et des mosquées de ce quartier déshérité.

Tribunaux, centres sociaux, soupes populaires, tribunaux islamiques, Moqtada Al Sadr s’est constitué un petit empire, à l’image de Nasrallah au Liban, dont il partage l’idéologie.

Moqtada Al Sadr n'hésitera pas à envoyer des candidats au suicide, surtout les femmes, dans les foules et sur les soldats de la coalition. Il ne répugnera pas non plus à provoquer des bains de sang parmi ses fidèles.

Il n'est pas certain que l'opinion publique internationale soit prête à supporter cela. Quant aux grincheux, ils ne manqueront pas d'affirmer "Nous vous l'avions bien dit !".

La véritable explosion ne viendra pas du Proche-Orient, comme le profèrent à tous les coins de rues les hommes politiques français et européens, Védrine en tête, mais d’une déflagration entre ces deux courants irréconciliables de l’Islam.

Si Moqtada, qui n'a peut-être pas encore les moyens de ses ambitions, n'en est pas le déclencheur, il en viendra un autre. Les vocations d'homme providentiel dans ce domaine ne manquent pas.

Le danger pour le monde est un peu plus à l’est qu’Israël, n’en déplaise à ceux qui ne cessent de voir dans le conflit israélo-arabe l’enjeu majeur de ces prochaines années.

Mais, quand on a décidé de ne rien comprendre, de se soumettre à une idéologie aussi stupide que mortifère, il est difficile d’en changer… surtout en si peu de temps.

Pierre Lefebvre © Primo, 19 avril 2008

1- titre porté par les théologiens et les docteurs en droit dans l'Islam chiite.