20.5.08

HAMAS: ON TOUCHE MAIS ON COUCHE PAS

La diplomatie vous a parfois des petits airs de « déjà vu ».

Tout le monde savait que la France et d’autres pays européens entretenaient des relations avec le Hamas, ne serait-ce que pour le financement de l’aide humanitaire.

Depuis l’article du Figaro (lire) et les aveux à moitié gênés du Ministre des Affaires étrangères, l’affaire est claire. Cela a au moins le mérite de la franchise. Dans le domaine de la politique internationale, la franchise n’est pas une vertu couramment pratiquée. Ne nous en plaignons donc pas !

Des contacts, mais sans relations

Dans le domaine sexuel, ce type d’attitude, bien arrangeant pour ceux qui sont emplis de sève, est certes frustrant pour les partenaires, mais il permet de diminuer les risques de transmission de certaines maladies.

La mode est venue des USA où l’on a commencé à parler de safe sex (sexe sûr) pour en venir au safer sex (sexe plus sûr). Le conservatisme de certaines églises a été pour beaucoup dans la propagation de cette « technique ».

C’est bien ce que font les diplomates européens dont les tournées au Moyen-Orient les amènent à passer à Beyrouth, Damas, Le Caire et autres capitales arabes.

Il n’est pas certain que leurs avions n’y atterrissent que pour des escales techniques.

Malheureusement, si la technique du Safe Sex laisse apparaître quelques avantages, la « safe diplomatie » – on se touche mais on couche pas – n’a jamais interdit la propagation de certains virus.

Daladier et Chamberlain – entre autres grands diplomates - n’ont à cet égard, pas vraiment laissé de souvenirs impérissables.

Et puis, pragmatisme oblige, étant donné qu’un pays n’a jamais d’amis mais des relations, il ne faut surtout pas se fâcher avec l’Histoire.

Qui sait de quoi demain sera fait ?

Et si le Hamas venait à conforter sa position au Moyen-Orient ? Et si, pour avoir un appui face à l’Iran, il fallait entretenir quelques bonnes relations avec les mouvements influents qui ne peuvent supporter le chiisme d’Ahmadinejad ?

C’est tout cela, plus un faisceau d'amitiés patiemment nouées par des ambassadeurs maintenant à la retraite – Stéphane Hessel, Yves Aubin de la Messuzière - qui permet d’entretenir l’influence du Quai d’Orsay dans les couloirs, cages d’ascenseurs et coursives de l’hôtel international Diplomatie Planet. Ces deux là ont un carnet d’adresses amplement fourni et disposent d’un réseau d’amitiés plus ou moins affirmés dans les pays arabes

Cet emploi massif de vieux ambassadeurs sur le retour n’est pas une pratique nouvelle. Les diplomates font rarement les choses en pleine lumière. Et il doit certainement y avoir quelque jubilation à savoir ce que les autres ne savent pas.

En période de restriction budgétaire, l’emploi d’anciens serviteurs de l’Etat est tout à l’honneur d’un ministère qui, lui aussi, doit donner l’image de sa bonne gestion.

Il n’est d’ailleurs pas indispensable d’avoir été ambassadeur pour avancer discrètement dans certaines négociations qu’il est préférable de taire au public.

On se souvient des virées nocturnes du député Julia en Irak et, plus loin de nous, celles, moins nocturnes, des émissaires élyséens de la Françafrique, sous tous les gouvernements.

Au plus haut sommet de l’Etat, ainsi qu’au niveau européen, il se murmurait que de moins en moins de monde était opposé à des "passerelles pour discuter" avec les islamistes palestiniens.

Comme par enchantement, un ancien ambassadeur se trouve pris sur le fait de contact officieux avec le mouvement islamiste.

"Le déplacement à Gaza de M. Yves Aubin de la Messuzière, chercheur associé à Sciences-Po, dont le ministère était informé, s'est déroulé sur une base individuelle comme cela est le cas pour des personnalités de nombreux pays, et encore récemment le président Carter", a souligné la porte-parole du Quai au cours d'un briefing de presse.

Toute la question est de savoir si Aubin de la Messuzière aura eu autant de succès que l’encore vert ex-président Carter.

Tout ce qu’il y a d’officieux, promis-juré !

C’est ce que laissait entendre aujourd’hui Pascale Andreani, qui insistait lundi sur le caractère "individuel" de cette initiative, réaffirmant qu'"il n'y a aucune relation politique, aucune négociation avec le Hamas".

Aujourd’hui même, Bernard Kouchner confirme que tout est bien officiel : la France aurait noué des "contacts" avec le Hamas. "Ce serait difficile de l'infirmer", a déclaré le Ministre sur Europe 1.

Européens et Américains se sont engagés à ne pas entretenir de relations avec les fanatiques islamiques tant que leur organisation ne reconnaîtrait pas l'Etat d'Israël, n'entérinerait pas les accords déjà signés et ne renoncerait pas à la violence.

Au risque de passer pour le naïf de service –ce qu’il n’est pas - Bernard Kouchner met les pieds dans le plat. "Ce ne sont pas des relations, ce sont des contacts…Nous ne sommes pas les seuls à en entretenir…Nous ne sommes chargés d'aucune négociation".

Le Hamas avait prévenu qu’il avait le temps devant lui et qu’il lasserait la diplomatie internationale. C’est chose faite !

Certains croyaient encore que le peuple palestinien qui vit sous la coupe de la Charia à Gaza allait faire basculer les choses, qu’à force d’être affamé, il renverserait le gouvernement d’Ismaël Hanyeh pour retomber dans le giron de Mahmoud Abbas.

La diplomatie occidentale pensait avoir le temps, mais 2008 est là, avec les élections aux USA, la prise en main du Hezbollah sur l’appareil d’Etat libanais, et l’accélération des tours de centrifugeuses en Iran.

En Palestine

Le vocabulaire aussi a son importance et on ne saura peut-être jamais combien d’heures il a fallu négocier pour que le Président français aille passer quelques minutes « en Palestine » lors de son prochain voyage au Moyen Orient.

Qu’il aille à Ramallah rencontrer Mahmoud Abbas est chose normale. Mais le communiqué officiel dit tout autre chose : « le président français se rendra en Palestine ».

Le terme de « Palestine » employé par Kouchner dénote un changement majeur. Bien entendu, il ne s’agit pas de nouer des relations diplomatiques, puisque cet Etat n’existe pas.

Et puis, promis-juré, Sarkozy ne rencontrera pas non plus des membres du Hamas. Cette précision ne contente que les imbéciles. Les autres savent que le Hamas est aux commandes à Gaza et plus discret (mais la petite bête monte, monte...) dans les territoires encore disputés.

Pas de relations diplomatiques... pour l’instant

Le Hamas prend bien soin de préciser que le mouvement islamiste avait eu des "contacts" avec différents responsables européens, notamment français. Sami Abou Zouhri a tout de suite tempéré en disant que ces échanges visaient à « connaître les opinions du Hamas mais ne constituaient pas des approches en vue de l'ouverture de relations diplomatiques ».

Bref, la realpolitik dont Bernard Kouchner disait se méfier il y a peu a encore de beaux jours devant elle.

Il n’est pas fatalement prouvé que l’emploi de la méthode « safe » puisse sauver quoique ce soit de nos consciences internationales, toutes pétries de Droits de l’homme.

Mais, au moins, on aura essayé.

L’important est de savoir qu'Aubin de la Messuzière est revenu satisfait de sa petite mission :

Qualifiant sa visite de "très utile", l'ancien ambassadeur affirme que ses interlocuteurs lui "ont assuré qu'ils étaient prêts à accepter un Etat palestinien dans les frontières de 1967, ce qui équivaut à une reconnaissance indirecte d'Israël". "Ils se sont dits prêts à arrêter les attentats kamikazes, et ce qui m'a surpris, c'est que les dirigeants islamistes reconnaissent la légitimité de Mahmoud Abbas".

L’important est que tout le monde fasse semblant de les croire.

Lorsque Aubin de la Messuzière a quitté son dernier poste à Florence (Italie), en Septembre 2007, le personnel lui a offert en souvenir un morceau de lave provenant de l’antique volcan Laziale.

Mais cette lave était pétrifiée. Celle qu’il manipule depuis, avec d’autres, brûle.

Elle brûlera férocement.

Pierre Lefebvre
Primo Europe