12.6.08

Pourquoi Bush aide-t-il l'Arabie Saoudite à construire des armes nucléaires ?

par Edward J. Markey
rubrique Opinion du Wall Street Journal


Titre original : Why Is Bush Helping Saudi Arabia Build Nukes?

Traduction : Objectif-info

Voici un bref questionnaire de géopolitique. Quel est le pays trois fois plus grand que le Texas qui bénéficie d'un soleil ardent plus de 300 jours par an ? Quel est le pays qui a les plus grandes réserves de pétrole du monde reposant sous des kilomètres et des kilomètres de sable ? Et quel est le pays à qui le Président George W. Bush vient de permettre l'accès à l'énergie nucléaire, pas à l'énergie solaire, alors que la seule supposition d'une détention du nucléaire dans cette région est susceptible de provoquer des frappes aériennes préventives et même des guerres ?

Si vous répondez l'Arabie Saoudite à toutes ces questions, vous avez raison.

Le mois dernier, au moment où les Américains devenaient membres du réseau ATM de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, la secrétaire d'État Condoleezza Rice se trouvait en Arabie Saoudite à qui elle consentait un cadeau d'une valeur bien plus grande : la technologie nucléaire. Dans une cérémonie à peine mentionnée dans ce pays, Mme Rice a exprimé la volonté des Etats-Unis d'aider l'Arabie Saoudite à développer des réacteurs nucléaires, à former des ingénieurs dans cette spécialité, et à construire une infrastructure nucléaire. Alors que le pétrole bat des records à 130 $ le baril et plus, le consommateur américain va payer la facture des ambitions nucléaires de l'Arabie Saoudite.

L'Arabie Saoudite a dépensé des sommes folles au développement de ses vastes réserves de gaz naturel pour la production nationale d'électricité. Elle continue à investir dans un réseau national de transport de gaz par pipelines et dans la poursuite de l'exploration de gisements nouveaux, jetant des bases solides pour une production énergétique nationale qui pourra satisfaire les besoins d'électricité pendant de nombreuses décennies. L'énergie nucléaire, de son coté, exigerait d'énormes investissements dans de nouvelles infrastructures pour un pays dont l'expertise est nulle dans cette technologie complexe.

Mme Rice, M. Bush et les dirigeants Saoudiens ont-ils levé les yeux vers le ciel ? Le désert saoudien est presque constamment sous le soleil. Si M. Bush voulait aider ses amis de Riyad à diversifier leur portefeuille d'énergie, il leur aurait offert des panneaux solaires, et non des usines nucléaires.

L'intérêt de l'Arabie Saoudite pour la technologie nucléaire ne peut s'expliquer que par la situation politique périlleuse du Moyen-Orient. L'Arabie Saoudite, championne et cheville ouvrière du monde arabe sunnite, est gravement menacée par la montée en puissance de l'Iran dominé par les Chiites.

Les deux pays s'observent avec méfiance sur les eaux du golfe Persique, achetant des armes et alimentant des guerres par procuration au Liban et en Irak. Une arme nucléaire iranienne changerait radicalement l'équilibre des forces de la région, et pourrait s'avérer être l'allumette capable de mettre le feu à la poudrière. En signant cet accord avec les États-unis, l'Arabie Saoudite avertit l'Iran qu'elle peut jouer avec lui une partie nucléaire.

En 2004, le vice-président Dick Cheney a dit, "[l'Iran] est déjà assis sur une énorme quantité de pétrole et de gaz. Aussi, nul ne peut comprendre pourquoi il aurait besoin du nucléaire pour produire de l'énergie." M. Cheney a raison sur l'Iran. Mais un programme nucléaire saoudien potentiel alimente exactement les mêmes interrogations. Pour un pays qui possède autant de pétrole, de gaz et de potentiel solaire, l'importation d'une filière nucléaire coûteuse et dangereuse n'a aucun sens en termes économiques.

L'administration Bush prétend que l'on ne peut pas comparer l'Arabie Saoudite à l'Iran, parce que Riyad a déclaré qu'il ne développerait ni l'enrichissement de l'uranium, ni le retraitement du combustible, les deux technologies nucléaires les plus dangereuses. Lors d'une audition récente devant la Commission parlementaire sur l'Indépendance énergétique et le Réchauffement climatique global que je préside, le secrétaire d'état à l'Énergie, Samuel Bodman, a fait fi de toute inquiétude sur le risque d'un détournement de l'aide en matière nucléaire au profit d'un programme d'armement, affirmant simplement : "je présume que le président a une grande confiance dans le Roi et dans les dirigeants de l'Arabie Saoudite."

Cela ne suffit pas. Nous ferions bien de nous rappeler que ce sont les États-unis qui ont fourni l'aide nucléaire initiale à l'Iran dans le cadre du programme Atome pour la Paix, avant que le monarque iranien ne soit renversé par la révolution islamique de 1979. Un soulèvement du même genre qui frapperait l'Arabie Saoudite aujourd'hui serait au moins aussi dommageable pour la sécurité des États-unis.

Nous savons depuis longtemps que la dépendance de l'Amérique vis-à-vis du pétrole finance la diffusion de l'extrémisme. Si cette initiative nucléaire de Bush se confirme, les pétrodollars de l'Arabie Saoudite pourraient financer l'expansion de dangereuses technologies nucléaires dans la région la plus instable du monde.

Tandis que le soleil étouffant d'Arabie saoudite chauffe les dunes de sable au lieu d'alimenter des panneaux photovoltaïques, des millions d'Américains vont allonger plus de 4 $ par gallon sans avoir conscience que le réservoir de leur véhicule finance le début d'une course aux armements nucléaires.

Le Républicain Markey (D., Mass.) est président de la Commission parlementaire pour l'indépendance énergétique et le réchauffement climatique.
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