18.5.09

Bizarrement, le mythe de l’Europe prévaut

Par Caroline B. Glick |
Adaptation française de Sentinelle 5769



Les Israéliens sont fous de l’Europe. Un sondage réalisé par la fondation Konrad Adenauer le mois dernier montre qu’un pourcentage énorme de 69 % d’Israéliens, et 76 % des Juifs israéliens aimeraient qu’Israël rejoigne l’Union Européenne. 60 % des Israéliens ont une opinion favorable de l’UE

Le message le plus évident de ce sondage est qu’en ce concerne l’Europe, les Israéliens souffrent d’un amour sans retour. Une enquête de l’Institut Pew en 2003 dans15 Etats de l’UE a montré que 59 % des Européens considèrent Israël comme la plus grande menace pour la paix mondiale. Une enquête réalisée en Allemagne l’année suivante a montré que 68 % des Allemands croient qu’Israël poursuit une guerre d’extermination contre les Palestiniens et 51 % ont déclaré qu’il n’existe pas de différence de principe entre le traitement par Israël des Palestiniens et le traitement allemand des Juifs pendant l’Holocauste.

Et ce n’est pas seulement Israël qu’ils haïssent. Ils n’aiment pas beaucoup les Juifs non plus. Dans une étude empirique publiée en 2006, les Pr. Eduard Kaplan et Charles Small de l’Université Yale ont montré un lien direct entre la haine contre les Juifs et les positions extrémistes anti-Israël. Un récent sondage révèle le fait que le niveau d’hostilité envers Israël s’élève avec le niveau d’antisémitisme.

Selon une enquête de 2008 de l’institut Pew, les sentiments antisémites dans cinq pays de l’UE – Espagne, Grande Bretagne, France, Allemagne et Pologne – ont augmenté de près de 50 % entre 2005 et 2008. Alors qu’en 2005, quelques 21 % des personnes interrogées ont reconnu abriter des sentiments négatifs envers les Juifs, à la fin de l’an passé le pourcentage d’antisémites autoproclamés dans ces pays s’est élevé à 30 %. Les niveaux d’antisémitisme en Espagne ont plus que doublé, passant de 21 % en 2005 à 46 % en 2008.

Sans surprise, une augmentation de la haine antijuive s’est accompagnée d’une croissance de la violence contre les Juifs. La semaine dernière par exemple, trois hommes ont agressé l’ambassadeur d’Israël en Espagne, Rafi Shotz, alors qu’il rentrait à pied chez lui avec sa femme après un match de foot. Ils l’ont suivi et ont crié : « sale juif », « bâtard de juif », et « juif assassin ». Une foule de témoins a assisté à l’agression, mais pas un ne s’est dressé pour les défendre.

Shotz a eu de la chance. Comme ambassadeur d’Israël, il avait une escorte de deux policiers l’accompagnant, et ainsi il échappa à une agression physique. Cela n’a pas été le cas de survivants de l’Holocauste qui se sont rassemblés au camp de la mort de Mauthausen en Autriche la semaine dernière, pour commémorer le 64ème anniversaire de la libération du camp par les forces américaines. Alors que les survivants juifs du camp, où 340.000 personnes furent assassinées, pleuraient les morts, un gang d’adolescents autrichiens portant des masques se sont moqué d’eux, hurlant « Heil Hitler », et « voilà le chemin des chambres à gaz ! ». Ils ont ouvert le feu avec des fusils en plastique sur des survivants juifs français, en blessant un à la tête, et un autre au cou.

Et l’Autriche n’est pas la seule. De l’Allemagne à la France, en passant par la Belgique, la Grande Bretagne, la Hollande, la Suède , la Norvège et ailleurs, des jardins d’enfants, des écoles, des restaurants des épiceries fines juifs ont été l’objet d’agressions à la bombe et vandalisés. La profanation de cimetières juifs et de synagogues est presque devenue une affaire de routine. Des dirigeants juifs de la Norvège à l’Allemagne en passant par la Grande Bretagne et la France ont mis en garde les membres de leur communauté de ne pas porter des ‘kippot’, ni d’étoile de David publiquement. Des rabbins ont été frappés sur tout le continent.

Il n’y a pas de sanction d’Etat pour la violence antijuive en Europe. Mais en beaucoup d’endroits, elle est soit dépeinte comme insignifiante, ou bien justifiée comme produit dérivé du conflit palestinien avec Israël. Dans au moins un cas, la minimisation officielle des sentiments et de la violence antijuifs a eu des conséquences meurtrières.

En Janvier 2006 Ilan Halimi, un Juif français, a été kidnappé par un gang de sadiques musulmans. Pendant une semaine entière, la mise en danger de la vie d’Ilan Halimi – en dépit des appels téléphoniques menaçants de ses ravisseurs aux parents d’Halimi, accompagnées de la récitation de versets du Coran alors qu’on entendait en arrière-fond Ilan hurler de douleur sous la torture.

Pour finir, Halimi fut torturé de façon continue pendant 20 jours avant d’être jeté nu, avec des brûlures et des coupures sur 80 % de son corps battu, à une station de train ; il mourut de ses blessures après qu’on l’eût retrouvé.

Certains ont attribué la montée de l’antisémitisme européen à la croissance rapide des minorités musulmanes à travers le continent. Cette explication est très plausible. Les taux d’antisémitisme au sein de la minorité des populations musulmanes en Europe sont excessivement élevés. Selon l’étude de Kaplan et Small, les Musulmans européens ont huit fois plus de ’chances’ que les non musulmans d’être ouvertement antisémites. Et Franco Frattini, le responsable officiel européen en charge du combat contre l’antisémitisme a déclaré au ‘Jerusalem Post’ l’an passé que 50 % des agressions antijuives en Europe sont menées par des Musulmans.

Mais alors que les Musulmans européens sont un facteur majeur dans la croissance de la violence antijuive, ce sont des ‘petits joueurs’ quand on en vient à la prévalence globale des attitudes antijuives. Par exemple, avec 46 % des Espagnols disposés négativement envers les Juifs, et les Musulmans constituant 3 à 5 % des Espagnols, nous en déduisons que près de la moitié des chrétiens espagnols sont antisémites. Et comme l’enquête Pew de 2008 le montre, la haine européenne contre les Juifs augmente à grande vitesse. De fait, elle croît deux fois et demi plus vite que la haine européenne envers les Musulmans.

Selon toute probabilité, ces courants négatifs envers les Juifs ne vont faire que croître dans les années à venir. Les politiciens intéressés par leur élection ont déjà commencé à exploiter la montée des sentiments antijuifs pour accroître leurs perspectives électorales. Lors des élections britanniques de 2005 par exemple, le Parti travailliste conduit par Tony Blair a alors dépeint le chef du Parti Conservateur Michael Howard comme l’image antisémite de Fagin dans ‘Oliver Twist’, sur une affiche électorale. Une autre affiche du ‘Labor’ a qualifié Howard et un homme politique associé, Oliver Letwin, de ‘cochons volants’.

Cet état des affaires présage mal des relations futures d’Israël avec l’Europe. Dans la plupart des cas, les politiciens européens caressent l’électorat croissant des antisémites en adoptant des politiques hostiles envers Israël. Ces politiques servent alors à justifier encore plus d’attitudes antisémites, le nombre d’Européens antisémites continue d’augmenter, et en retour, l’hostilité européenne envers Israël s’accroît.

Tout cela nous ramène vers l’europhilie d’Israël. Si la majorité des Israéliens devaient suivre leur pente, et Israël rejoindre l’UE, nous nous trouverions soumis à une entité politique transnationale qui rejette de plus en plus le droit d’Israël à l’existence.

Reconnaissant sans doute l’avantage politique d’être bien vu en attaquant Israël, l’an dernier le juge d’instruction espagnol Fernando Andreu Merellesis décida d’utiliser une plainte spécieuse soumise par le centre palestinien discrédité des droits de l’homme, pour lancer une enquête pour crimes de guerre contre les principaux dirigeants politiques et militaires d’Israël. Contre la volonté déclarée de poursuite par l’Etat espagnol, Merellesis annonça la semaine dernière qu’il poursuivait son enquête sur des requêtes concernant une dizaine de chefs israéliens de premier rang ayant commis un crime de guerre en approuvant en 2002 de cibler le maître terroriste Salah Shehadeh.

En tant que non membre de l’UE, les cours de justice de l’UE n’ont aucune autorité pour appliquer leurs lois contre des Israéliens. Aujourd’hui, la seule chose dont les Israéliens doivent se soucier est que nous soyons arrêtés lors d’une visite en Europe. C’est malcommode, mais pas invivable. Cependant, si les Israéliens devaient rejoindre l’Europe, les lois de l’UE surpasseraient les lois israéliennes, les cours européennes pourraient obliger à appliquer leurs lois. En bref, Israël se retrouverait soumis à une entité politique hostile qui pourrait tout simplement se prononcer et légiférer sur son existence.

Alors qu’est-ce qui explique l’histoire d’amour non payé de retour d’Israël pour l’Europe ?

Il n’y a pas d’explication globale à la popularité de l’UE en Israël. Elle est fonction de nombre de causes complémentaires. La plus importante, c’est l’échec abject des media israéliens à observer l’antisémitisme européen et ses implications pour la politique européenne à l’égard d’Israël de quelque manière cohérente. Plutôt que de reconnaître que l’antisémitisme européen et son hostilité concomitante envers Israël sont la conséquence de dynamiques européennes internes, les media israéliens tendent à mettre les deux sur le compte des actions d’Israël. Ce faisant, cela donne certainement des informations bien ordonnées et aisément digérés, mais banalise aussi la situation. De plus, en agissant comme si le comportement réel d’Israël était le moins du monde important pour le comportement européen envers les Juifs et l’Etat juif, les media locaux adhèrent effectivement à des décisions européennes cyniques pour déprécier la signification de la violence antisémite. Ils crédibilisent les fausses proclamations européennes :les bombes incendiaires contre des synagogues seraient simplement la conséquence regrettable du conflit palestino-israélien.

Puis, il y a la quête constante d’Israël pour rompre son isolement international. Pour beaucoup d’Israéliens, il est tentant de croire que nous pouvons mettre fin à notre isolement international en rejoignant l’UE. L’UE est considérée comme un club de pays riches et cultivés, avec lesquels Israël aurait avantage à fusionner. De nouveau, cette opinion est alimentée par les media qui ont échoué à rapporter l’échec du modèle de l’Etat providence à l’européenne.

A la lumière du refus des media de raconter l’hostilité de l’Europe envers les Juifs et l’Etat juif, ou l’histoire des problèmes économiques graves de l’UE, il n’est pas surprenant que peu de précieux politiciens israéliens aient une compréhension claire de l’Europe. Nos ministres des affaires étrangères successifs – depuis Shimon Peres à Silvan Shalom en passant par Tzipi Livni et Avigdor Lieberman – tous se sont prononcés à divers degrés en faveur de l’adhésion d’Israël à l’UE. Leurs déclarations n’ont jamais été soumises à un débat. Finalement, il y a la nostalgie de beaucoup d’Israéliens pour la vieille Europe d’avant-guerre qu’ils tiennent des narrations de leurs grands-parents.

Cette Europe depuis longtemps disparue, où des jeunes femmes et de jeunes hommes se promenaient dans des jardins à Berlin, Paris, Anvers et Prague, se tenant par la main en mangeant une crème glacée, humant l’air de Heinrich Heine et de Franz Kafka, est restée vivante dans l’imagination de générations d’Israéliens. Beaucoup d’entre eux travaillent aujourd’hui comme journalistes célèbres, réalisateurs et acteurs de cinéma connus. Donc pour beaucoup d’Israéliens, l’Europe mythique est plus familière que l’Europe réelle.

Dans l’attente de l’avenir d’une Europe haïssant de plus en plus les Juifs, il est clair qu’Israël et les Israéliens doivent rapidement écarter nos illusions sur l’Europe. Pour Israël, pour faire face comme il convient à l’Europe dans les années à venir, il sera essentiel qu’aussi bien nos dirigeants et la société israélienne dans son ensemble acquièrent un solide point de vue sur la position où l’Europe se tient, aussi bien à l’égard du Peuple juif que de l’Etat juif.

Avec une minorité musulmane florissante et profondément antisémite, et avec une majorité chrétienne de plus en plus à l’aise dans des attitudes antisémites traditionnelles ouvertement affichées, rendre inutiles les mythes antijuifs se situe au plus bas sur la liste des priorités de la majorité des dirigeants européens. A l’opposé, pour Israël, observer que cet état des affaires se déploie en Europe, il est clair qu’abandonner notre adoration pour une Europe mythologique est l’une des priorités les plus urgentes sur notre plan d’action national.